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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

voyait pas plusieurs écoles opposées mais florissantes, il y avait une sorte d’émiettement général de la pensée (qui se manifeste aussi bien dans l’ordre politique et dans l’ordre social que dans l’ordre philosophique). Notre largeur d’esprit s’accompagnait trop souvent, provenait peut-être, d’une inaptitude à conclure, faute de connaissances suffisantes ou par manque de force d’esprit. L’union des esprits se faisait mal, ou ne se faisait pas. Les croyants mêmes, menacés dans leurs idées les plus chères, s’ils n’étaient ni convaincus, ni ébranlés, étaient obligés d’admettre au moins la coexistence de doctrines absolument opposées aux leurs et cette coexistence seule est une cause d’affaiblissement et de ruine, et c’est pour cela aussi qu’elle est une cause de réaction. Toutes ces causes réunies réagissant les unes sur les autres, favorisées par les circonstances sociales que nous avons rencontrées depuis vingt ans, ont amené un état intellectuel, curieux, intéressant, rare, mais, à certains égards, dangereux du moment qu’il se généralisait trop. On avait trop démoli, il fallait reconstruire ou étayer provisoirement.

La généralisation, la diffusion d’un ensemble de croyances ou d’opinions tend à produire une réaction contre elle, car ces croyances ou ces opinions finissent par opprimer des croyances et des sentiments qui ne peuvent s’accorder avec elles et qui, vivaces encore, s’éveillent et se défendent. Ceux même qui ont contribué à les répandre, en viennent souvent à agir en sens inverse. Soit que l’idée en se vulgarisant se déforme, soit qu’on lui attribue une certitude qu’elle n’a pas aux yeux de ses premiers partisans, soit qu’on en tire des conséquences inexactes, soit enfin que les conséquences théoriques et pratiques de l’idée effrayent ses premiers défenseurs, ceux-ci peuvent devenir ses adversaires. Il y a là une première cause de réaction contre, une doctrine et même d’action contre des idées ou des sentiments qui ne tiennent pas logiquement à ceux que l’on combat. Ajoutons-en d’autres nombreuses et actives. Quand une doctrine triomphe ou paraît triompher, cela ne signifie pas qu’elle soit bien solide. Parmi ceux qui l’acceptent, un grand nombre sont au fond assez peu zélés. Entraînés dans un camp par l’exemple, par un concours de circonstances peu importantes en somme, ils seront aussi bien entraînés par un exemple contraire dans le camp opposé. Quelques-uns d’entre eux auraient accepté avec le même enthousiasme des doctrines tout à fait opposées, d’autres seraient restés indifférents. Parmi ceux qui ne l’acceptent pas, une part perfectionne, en combattant l’idée en faveur, ses propres opinions et les accommode au goût du jour, ou tout au moins apprend à les présenter de la manière qu’il faut pour se faire écouter