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du monde s’appuie ou non sur des croyances religieuses. On peut avoir les vues les plus désespérées sur le monde que nous habitons, déclarer que la vie n’est qu’une épreuve pénible, et prêcher la renonciation à tous les biens, rien n*est perdu pour qui entrevoit derrière le monde matériel, un monde idéal meilleur et plus vrai, pour qui voit sous tout ce qui arrive une volonté bonne et puissante. On se distrait même de croyances sombres ou terribles comme la prédestination, si on attache sa pensée à la sagesse suprême et insondable. Dans le cas contraire, l’homme qui a renoncé au bonheur pour lui et pour les siens dans la vie future et qui croit devoir renoncer aussi pour lui et pour les siens au bonheur dans le présent et pour sa race au bonheur dans l’avenir, est évidemment dans une situation généralement pénible et, pour un certain nombre, intenable, pour ceux surtout que des croyances religieuses ont autrefois dirigés et soutenus.

Un symptôme intéressant de l’anarchie intellectuelle, en même temps qu’un indice d’une coordination pénible, c’est la substitution de la méthode historique à la méthode dogmatique. Dans beaucoup de cas, la prédominance de la méthode historique était devenue utile. Sans aucun doute, la méthode de critique religieuse que le siècle dernier avait vue en pleine prospérité, avait des côtés étroits, mesquins, inintelligents, mais on en est venu à oublier ce qu’elle avait de juste et de raisonnable. La réaction, comme souvent, a été excessive. L’impartialité, qui est un devoir, a été déformée au point de devenir de l’indifférence ou de l’abstention. Dans les études religieuses surtout, mais dans beaucoup d’autres aussi, on a voulu écarter les conclusions sur la vérité, sur la valeur réelle d’une croyance ou d’une théorie pour ne retenir que la forme de son développement, on a ainsi voulu substituer une connaissance spéciale à une connaissance générale beaucoup plus importante en somme, qui d’ailleurs peut exister à côté de l’autre, et l’on a trop généralisé une méthode souvent utile et parfois indispensable. Connaître et non juger est devenu un mot d’ordre très répandu, comme si la connaissance n’impliquait pas le jugement, comme si l’on pouvait avoir une idée complète d’un fait sans déterminer ses causes, sa nature, ses conséquences, sa portée. Il semblait que toutes les croyances devenaient égales, chacune ayant eu son jour ou son heure, aucune n’étant supérieure intrinsèquement aux autres. Avec ces principes, on si laisserait aller facilement à dire, mais non par figure de rhétorique comme on le fait quelquefois, que Copernic avait mis la terre en mouvement ou que Kepler avait lancé les planètes dans des orbites elliptiques. Mais leur application ne descendit pas dans la sphère