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fr. paulhan. — le nouveau mysticisme

France : l’un et l’autre faisaient tomber bien des illusions, leurs doctrines répondaient assez bien à notre besoin, un peu superficiel chez beaucoup, de science ou tout au moins d’apparences scientifiques ; de plus, les circonstances malheureuses que notre pays avait traversées nous rendaient peut-être plus capables d’apprécier le plaisir amer de la perte des illusions et sans doute aussi d’accueillir favorablement des théories arrivant de pays étrangers, même ou surtout de celui qui nous avait vaincus. D’autre part, des maîtres avaient répété et non sans raison, que l’esprit scientifique doit être désintéressé, qu’il ne recherche nullement dans une opinion la façon dont elle répond aux besoins de notre cœur, que le philosophe étudiant une question doit négliger les conséquences pratiques de la théorie qu’il formule, que la vérité et la morale n’ont rien à faire ensemble. Un esprit sincère qui est bien pénétré de ces idées n’est pas éloigne de se laisser influencer en un sens inverse de celui qu’il cherche à éviter, et le côté désespérant d’une hypothèse est une raison parfois de la traiter avec faveur. Des raisons moins innocentes agissaient également pour faire adopter les nouvelles doctrines, et la forme même sous laquelle le darwinisme s’est vulgarisé est un indice fâcheux de l’état moral de certains esprits. Les anciennes croyances religieuses ébranlées, les nouvelles n’étant pas encore formées, la philosophie spiritualiste, qui avait jusque-là rallié la masse des esprits, attaquée plus fortement que jamais, les règles de la conduite privées de leurs anciens fondements sans être appuyées sur des bases nouvelles suffisantes, la rapidité des changements dans les régimes politiques, dont la plupart sinon tous ont quelque peu déçu leurs meilleurs partisans : toutes ces causes ont déterminé une anarchie intellectuelle et morale assez grande pour inquiéter l’homme en intéressant le psychologue. La littérature de ces vingt dernières années en est un indice plus que suffisant.

Un fait important, c’est que les idées pessimistes qui ont pu être accompagnées, qui l’étaient même assez naturellement, quoique avec une logique insuffisante, de croyances chrétiennes, ont été produites dans ces derniers temps par des adversaires déclarés du christianisme et de toute religion, tout au moins par des indifférents, et c’est ainsi qu’elles se sont propagées dans des milieux irréligieux. Tandis qu’une forme de la religion, le protestantisme libéral, qui pencha vers le panthéisme avant de tomber dans la doctrine radicalement opposée, le criticisme, tentait une sorte de retour vers l’optimisme dont M. É. de Hartmann l’a bien sévèrement blâmé, l’irréligion devenait morose et pessimiste. Or la situation du pessimiste est incomparablement différente selon que son appréciation de la valeur