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avec cette matière ; mais il faudrait chercher et aujourd’hui tout le monde est pressé[1].

Les formes adoptées pour les poutres des grandes charpentes ne sont pas plus heureuses ; le treillis est quelque chose d’assez laid et il peut même être physiologiquement détestable, lorsque l’œil est obligé de supporter la vue de plusieurs fermes placées l’une derrière l’autre ; ces réseaux causent une fatigue bien désagréable. De plus, cette combinaison est très pauvre, elle accuse un mépris antiartistique pour la main-d’œuvre. On oublie trop, de nos jours, que toute grande école d’architecture a pour principe de faire ressortir la perfection du travail humain : les Grecs et les gothiques ont respecté cette règle[2].

Mais nous condamnons cette forme surtout au point de vue psychophysique, comme inintelligible. Ceci demande quelques explications.

Nous avons peu de grandes serrureries du moyen âge ; celles que l’on connaît datent presque toutes du xve siècle ; mais à cette époque les principes commençaient à être oubliés ; cependant on peut encore trouver dans ces exemples les éléments d’une analyse esthétique.

Viollet-le-Duc[3], malgré la pénétration de son esprit, n’a pu se rendre compte des principes appliqués ; il a, lui-même, proposé des combinaisons sans valeur réelle, basées uniquement sur le dessin décoratif. L’erreur du savant critique provient de ce qu’il n’avait qu’une notion vague des analyses psycho-physiques.

Tout le monde trouve que les constructions métalliques sont froides ; mais encore faudrait-il savoir ce que veut dire ce mot d’argot. On ne leur enlèvera pas la froideur en employant des appareils décoratifs. Rien n’est plus misérable, par exemple, que de grandes poutres dont l’âme a été évidée ou dorée : elles sont aussi froides qu’un cadavre orné de bijoux.

Ce qu’il faut donner à ces constructions, c’est l’intelligibilité vitale et c’est ce qu’ont fait souvent les artisans du xve siècle. Supposons un carré formé de barres métalliques ; on pourra le rendre rigide au moyen de tringles clouées sur les angles ou d’une croix de Saint-André ; mais ces formes ne nous disent rien, elles n’ont de sens que

  1. Viollet-le-Duc (Dictionnaire, t.  VIII, p. 314 et suivantes) donne de remarquables exemples de travaux de ce genre. La colonne du tombeau de Maximilien (p. 359) aurait pu inspirer nos modernes constructeurs.
  2. Les Grecs exigeaient une exécution parfaite dans leurs édifices ; les églises de Syrie, construites au ve et au vie siècle, ont leurs parements bien taillés. Les Grecs de ce temps avaient conservé un sentiment extraordinaire de l’art.
  3. Entretiens, t.  II, p. 126-130.