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j.-p. durand. — qu’est-ce que la physiologie générale ?

ciable. Donc provoquons en nous directement les états de l’âme qui la mettent spécialement en rapport avec telle ou telle fonction médullaire ou ganglionnaire, et l’âme agira sur cette fonction comme le fait son agent matériel lui-même.

Il suffit de considérer le témoignage de l’observation la plus vulgaire pour se convaincre qu’une telle conclusion n’a rien d’excessif. Reprenons notre dernier exemple. Un corps sapide mis en contact avec la langue provoque à la fois la sensation de saveur et la sécrétion de la salive. Agit-il directement à la fois sur les nerfs du goût et sur les nerfs végétatifs de la glande salivaire ? ou bien la glande n’est-elle excitée que par réflexion de l’impression faite sur le sens du goût ? Il importe peu à ma thèse que la chose se passe d’une façon ou de l’autre, car l’expérience établit en outre le point capital que j’ai en vue, c’est que la sécrétion sahvaire est sous l’empire de l’âme, et que celle-ci peut lui servir d’agent, c’est-à-dire d’excitant, non moins que ses agents matériels spécifiques, les aliments sapides. En effet, ne suffit-il pas de rappeler à la mémoire d’un gourmand les délices d’une table absente pour que a l’eau lui en vienne à la bouche » ? La physiologie expérimentale a recours à ce procédé original pour se procurer de la salive de chien : on place un sujet de cette espèce en face d’un gigot de mouton succulent qui tourne à la broche. L’animal est empêché de toucher à la viande, mais il lui suffit de la regarder pour que le vif désir qu’il en éprouve fasse affluer la salive dans sa gueule. Cette sensation à vide (sans calembour), si je puis ainsi m’exprimer, est assez vive néanmoins pour réagir d’une manière très puissante sur les centres moteurs de la sécrétion salivaire. Mais qu’est-il besoin maintenant de réunir ces quelques preuves éparses de l’observation ancienne, quand la science enregistre aujourd’hui celles sans nombre et d’un poids si écrasant qu’apporte la suggestion hypnotique ?

C’est en l’année 1853, ou plutôt vers la fin de 1852, que je suis arrivé à cette vue de l’organisation de notre être psycho-physiologique que je viens d’esquisser en quelques traits ; j’y fus amené par les efforts continuels de mon esprit pour se rendre scientifiquement compte de ces prodiges de l’hypnotisme dont le secret venait de m’être révélé en Angleterre, et que j’avais entrepris de faire connaître sur le continent. Les médecins se rirent alors de mes paroles, ou s’en indignèrent, quand je les assurais et offrais de leur prouver expérimentalement qu’une idée suggérée, que dis-je ? que le simple mot qui sert à suggérer cette idée peut offrir à la thérapeutique un succédané des agents de la matière médicale les mieux caractérisés et les plus énergiques, tels notamment que le jalap, l’émétique,