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j.-p. durand. — qu’est-ce que la physiologie générale ?

d’une âme unique où cette reine trônerait dans la plus parfaite solitude, et s’offrant maintenant à nous comme le siège d’une colonie d’individualités psychiques absolument distinctes, mais toutes subordonnées à un chef suprême, le moi cérébral, qui est pour elles un primus inter pares, cette conception nouvelle, on l’admettra facilement, vient proposer des changements sérieux dans nos idées reçues sur un grand nombre de questions, et des plus hautes. Je me bornerai là-dessus à quelques indications principales.

Une vérité reconnue et indéniable, c’est qu’à tout instant nous faisons acte de volonté, de jugement, de science et de mémoire, sans en avoir conscience, c’est-à-dire à notre insu, c’est-à-dire sans sentir actuellement que nous voulons, que nous jugeons, que nous savons, que nous nous souvenons. Cette faculté étrange est appelée l’instinct quand elle est innée, mais elle s’acquiert, ou plutôt se développe, et cela d’une façon prodigieuse, à l’aide de ce qu’on nomme l’habitude. Dans le fait, si nous nous observons avec quelque attention, nous reconnaîtrons que dans l’ensemble des actes dits volontaires qui remplissent la vie de l’homme le plus intelligent, le plus instruit et le plus actif, il n’en est peut-être pas un sur mille qui n’appartienne à cette catégorie. Chez les illettrés, l’action d’écrire est un laborieux travail dont chaque détail, et le moindre, réclame de la part du sujet une attention soutenue et une détermination raisonnée distincte. Rien de pareil chez l’homme de cabinet. Il tracera de longues pages currente calamo, et cela en bonne écriture, en bonne orthographe et en bonne syntaxe, et pas une fois, pas un seul instant sa pensée ne se sera arrêtée sur le point de savoir quelle forme devait recevoir chaque lettre, et quelle impulsion il fallait imprimer à la plume pour la lui donner ; sur le point de savoir de quelles lettres devait se composer chaque mot, dans quel ordre ces lettres devaient s’y succéder, et comment les différents mots devaient se ranger dans la phrase. Tout cela s’est effectué pour ainsi dire de lui-même, et pendant que l’esprit de l’écrivain, attentif à un tout autre objet, était, comme on dit, à cent lieues de ces questions calligraphiques, orthographiques et grammaticales. Et ce n’est pas tout : si parfois l’esprit s’avise de se poser de telles questions, il pourra se sentir sérieusement embarrassé pour les résoudre, tandis que la main, abandonnée à elle-même, sans que notre pensée s’en mêle, nous donnera la solution sans hésiter, et presque toujours la bonne.

Mais est-il bien permis, est-il possible de dire, d’une part, que nos membres exécutent des mouvements manifestement empreints de sensibilité, d’intelligence, de savoir, de mémoire et de volonté, et