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g. sorel. — contributions psycho-physiques

des estimations psycho-physiques. Il faut que l’échelle soit elle-même estimée, de telle sorte qu’il y ait homogénéité dans les diverses parties du jugement.

Nous avons beaucoup de peine à nous rendre compte des dimensions des colosses ; lorsqu’une statue dépasse sensiblement deux mètres, elle nous frappe singulièrement plus qu’un échafaudage de carton à dimensions invraisemblables. Les rois ont trois mètres et sont placés à quinze mètres du sol : ils nous apparaissent comme des géants, mais comme des géants intelligibles[1].

L’artiste a fait preuve encore d’une grande connaissance des lois psycho-physiques en étendant la galerie sur toute la largeur de la façade : il fait apparaître vingt-huit géants ; il obtient ainsi la réplétion complète de la conscience et nous impose l’échelle qui doit servir à baser nos appréciations.

Dans toutes les questions d’architecture, l’étendue de la conscience joue un rôle très important. Les Grecs nous ont laissé sur ce point de précieux enseignements : ils classaient leurs temples d’après le nombre des colonnes placées sur la façade ; les dodécastyles sont très rares ; les plus nombreux sont les hexastyles (Zeus à Olympie, Thésée à Athènes, grand temple de Pœstum, Érechthéion, Athéné à Priène) ; le Parthénon est octostyle. Il résulte de là que les Grecs avaient reconnu qu’un esprit artistique est suffisamment occupé par 5 intervalles, qu’il est rarement utile d’aller jusqu’à 7 et que 11 sont à éviter[2].

Les règles semblent avoir été longtemps conservées ; car l’habile et savant architecte de Sainte-Sophie les a encore employées ; au rez-de-chaussée il met 5 entre-colonnements et 7 à la tribune.

Dans les cathédrales gothiques on trouve l’application des mêmes principes. Il faut naturellement ne s’occuper que de la nef ; le transept forme une séparation liturgique absolue, que les artistes ont accentuée par l’extraordinaire système d’éclairage adopté dans cette partie. Le nombre des travées varie ordinairement de six à dix.

Il est clair d’autre part qu’un trop petit nombre de divisions paraît

  1. On n’a pas encore étudié, d’une manière satisfaisante, les lois qui régissent nos estimations des objets élevés. Dans le cas actuel il faut encore observer que notre jugement sur un ensemble de statues n’est, sans doute, pas le même que s’il n’y avait qu’un être isolé.
  2. Il est clair que ces nombres n’ont de valeur qu’à la condition que les intervalles ne soient pas très grands. Il faut encore remarquer le petit nombre des cannelures creusées sur les colonnes : 20 dans le dorique du Parthénon, 24 dans l’ionique grec ; tandis qu’à Persépolis les colonnes persanes ont 40 à 52 cannelures. Ces chiffres doivent être naturellement divisés par 2, quand on veut se rendre compte de l’effet produit.