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contour un plus ou moins grand nombre d’images : Mozart se représentait simultanément les sons de longues phrases musicales ; Shakespeare, à en croire Goethe, dut embrasser d’un coup d’œil tout son Hamlet. — Clarté et richesse sont les conditions indispensables de la production artistique. 5o Les images sont fréquentes ou rares, c’est-à-dire se suivent plus ou moins nombreuses. 6o Elles sont durables ou fuyantes. Dans le premier cas, elles sont tantôt périodiques, tantôt continues. Ce sont elles qui font la distraction du génie. 7o Elles sont volontaires ou involontaires. Les déclarations de Schiller, Gœthe, Beethoven, etc., montrent, sans contestation possible, que la création est affaire de volonté. Il n’est pas possible de comprendre comment la volonté s’applique à ces sortes d’images que M. Œ.-N. appelle originelles ; mais quand il s’agit de l’imagination associante, la volonté se porte sur la représentation donnée qui évoque les autres.

IV. Conditions. — 1o La condition essentielle de l’imagination est cette spontanéité que M. Œ.-N. avoue être inexplicable : ce qui veut dire sans doute qu’elle ne tombe pas sous l’observation. 2o Après cette condition, la plus importante est l’accumulation de matériaux sur lesquels puisse s’exercer le génie. Ce qui le montre, c’est la biographie des grands artistes, l’examen de leurs œuvres, enfin l’influence des arts les uns sur les autres, qui implique l’action réciproque d’un grand nombre de pensées et d’affections. Une si riche expérience s’acquiert grâce à cette capacité de percevoir les plus subtiles différences, et à cette prodigieuse mémoire, dont les grands artistes, tels que Mozart, nous présentent des exemples étonnants. 3o Le génie créateur doit être susceptible d’affections fortes et vives. Les noms caressants inventés par l’amour ; la ferveur religieuse, inspirant aux peintres du xve siècle leurs figures de saints ; l’étonnement, ressort de l’imagination scientifique ; les plaisirs aigus des artistes, tels que Schubert, qui mourut de la joie d’entendre un quatuor de Beethoven ; l’action de la faim, de la soif, des autres appétits, excitant l’imagination dans telle ou telle direction ; l’influence de l’isolement, des ennuis, de l’habitude ; la nécessité d’une affection persévérante pour grouper toutes les représentations, associations, jugements, volitions, émotions, nécessaires à la conception ou à la composition d’une œuvre d’art : tous ces faits prouvent le rôle considérable de l’affection dans la production artistique. 4o Une dernière condition de l’exercice de l’imagination est l’humeur (Stimmung), affection sans objet, mais capable d’orienter à son gré les représentations, disposition analogue à la tristesse et à la gaieté qui nous font voir les mêmes choses en noir et en blanc. Mozart, ayant jeté les yeux sur une orange, se crut transporté à Naples, au milieu d’une fête, où, sur des barques, des jeunes gens et des jeunes filles se battaient à coups d’orange. De là sortit un air de danse.

V. Évolution. — 1o À son degré inférieur, l’imagination ne diffère guère du souvenir, toujours infidèle.