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ANALYSES.œzelt-newin. Phantasie Voustellungen.

de la représentation totale. Un enfant voit le chapeau de son père sur la table ; il veut se le mettre sur la tête. L’image du chapeau sur sa tête comprend la perception du chapeau, qu’il avait déjà reçue. De cette sorte sont les illusions qui nous font voir un chameau dans un nuage, ou, dans un pâturage gris, le Roi des aulnes. L’imagination, « associative » joue un rôle important dans les arts, surtout en musique. Tantôt un sentiment, tantôt une pensée peut être le point de départ de toute une mélodie. Schumann et Beethoven le déclarent formellement. Parfois la simple audition ou le souvenir d’un rythme suffit à provoquer toute une composition musicale. C’est par là que M. Œ.-N. rend compte, très ingénieusement, de la musique du Roi des aulnes par Schubert : le rythme même du premier vers de Gœthe a, sans doute, inspiré l’air tout entier au musicien. Il arrive même qu’à un simple son se suspende une mélodie : Beethoven, quand on le priait déjouer d’inspiration, frappait au hasard les touches du piano, et à un son donné se nouaient, pour ainsi dire, les plus capricieuses fantaisies. (Je ne serais pas étonné que ces quelques pages, où sont condensées un très grand nombre d’observations dont il faut lire l’exposition dans l’auteur lui-même, eussent fait faire un pas à la théorie de l’imagination musicale.) Dans les arts plastiques l’imagination associante joue un rôle moins étendu, mais non moins certain, que dans la musique. Un peintre rencontre une femme : il lui voit, en imagination, une attitude et un costume ; et voilà une sainte. Ici encore l’activité associante de l’imagination est soutenue par des sentiments et des pensées : on ne se figure guère Pénélope qu’en noir. En poésie, cette sorte d’imagination marque son influence par les épithètes d’embellissement, par les images impliquant une comparaison ; et M. Œ.-N. la fait voir par une analyse excellente du monologue de Richard III, que nous voudrions pouvoir citer tout entière (p. 29 et 30). L’imagination poétique est suscitée tantôt par des impressions sensibles, tantôt par des idées abstraites. Les femmes de Gœthe ont toutes leur original. Le poète alors voit vraiment ses figures, qui sont à peine moins que des intuitions. De cette sorte n’était pas l’imagination de Schiller. — Originelle ou associante, l’imagination est toujours une activité qui met en œuvre spontanément des souvenirs que, tantôt elle évoque de toutes pièces, tantôt elle suspend, par association, mais toujours d’une manière originale, à un premier souvenir ou à une première impression.

III. Propriétés. — 1o L’imagination est capable d’images plus ou moins neuves. 2o Elle est vive ou languissante : Flaubert dit que lorsqu’il empoisonna Mme Bovary, il conserva plusieurs jours en bouche le goût d’arsenic ; Lotze et Fechner ne se rappellent qu’à grand’peine la couleur des objets. 3o Elle est distincte ou confuse : des peintres, tels que Kaulbach, saisissent les plus Unes nuances de gris, tandis qu’il y a d’autres couleurs qu’ils sont incapables de distinguer nettement. 4o Elle est riche ou pauvre, c’est-à-dire qu’elle contient dans un même