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ANALYSES.brentano. Connaissance morale.

Malheureusement cette déduction nous paraît bien rapide, bien peu explicite et le rôle des principes établis n’y est pas bien clair. La nécessité de la vie sociale, la règle du développement harmonique des facultés dans l’individu, des intérêts dans la société, tels en sont les principaux résultats.

Nous voudrions, en terminant, appeler encore l’attention sur un point important. Quoiqu’on fait, M. Brentano ne définisse le bien que par rapport aux facultés de l’homme, il paraît convaincu (et cette thèse n’est guère non plus d’un empiriste) qu’il existe des choses bonnes en soi, meilleures en sol. Il combat la thèse suivant laquelle les choses ne seraient bonnes qu’en raison d’une satisfaction produite : car alors la même chose serait bonne et mauvaise à la fois suivant les individus ; la valeur des biens est au contraire indépendante des individus ; elle ne réside donc pas dans la satisfaction. Il nous semble qu’il y a là, entre les partisans et les adversaires de l’idée du bien en soi, un malentendu assez fréquent pour mériter que nous nous y arrêtions un instant. Ceux-ci (comme tout récemment M. Döring et M. Gizycki) nous paraissent inattaquables en soutenant que la notion de bien n’a aucun sens en dehors d’une satisfaction produite. Ceux-là, d’autre part, ont raison de remarquer que l’individu n’est pas libre d’appeler bon ce qui lui plaît et mauvais ce qui lui déplaît et que la valeur des choses a par conséquent un fondement en dehors de sa préférence personnelle. Mais les deux thèses ne sont pas contradictoires, comme on le voit bien en considérant la notion de valeur dans son application économique. Aucun économiste n’admettra que les choses aient une valeur en soi, indépendante des besoins à satisfaire. Cependant un joaillier à qui je marchande un diamant n’en abaissera pas le prix au-dessous d’un certain niveau, sous prétexte que moi en particulier je n’en témoigne qu’un très faible désir, si toutefois il sait qu’il existe un public d’acheteurs au désir moyen desquels ce prix correspond. C’est que la valeur d’un produit étant la résultante des désirs respectifs de la totalité des acheteurs et des vendeurs d’un même marché, elle devient partout où il existe un marché de ce produit, indépendante en une large mesure de l’intensité des besoins de chaque acheteur ou vendeur en particulier. Elle est une moyenne qui s’impose à tous en dépit des écarts individuels ; et l’on pourra ainsi, communément, parler comme si la valeur existait en soi dans l’objet, comme s’il y avait un prix absolu. Cependant il n’y en a point.

Il en est de même, à cet égard, de la valeur morale des actes et des fins. Elle est une moyenne sociale. L’ensemble des exigences de la vie sociale fixe le degré de l’estime où nous devons tenir chaque sentiment, chaque acte, chaque fin. Il ne nous est point loisible de substituer à ce tarif moral notre appréciation particulière, et cela se vérifie jusque dans la bizarrerie de certaines opinions morales régnantes contre lesquelles la réflexion de l’individu est impuissante, comme elle le serait, économiquement, contre les conséquences d’une mode ridi-