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g. sorel. — contributions psycho-physiques

parties apparaît clairement, que l’intention de l’artiste se devine sans peine, notre esprit est complètement satisfait. Notre conscience ne saurait supporter le poids de ce plaisir intellectuel mêlé à d’autres préoccupations ; il en résulte qu’en présence d’une belle architecture nous sommes, tout entiers, livrés au pouvoir de l’intelligence et que toute impulsion sensorielle est morte chez nous.

On peut encore observer un phénomène d’une haute importance morale ; toutes les manifestations qui s’adressent surtout aux sens paraissent rétrécir la conscience, ce qui facilite la domination des passions ; le contraire a lieu quand l’intelligence est éveillée et qu’elle se trouve en communion d’idée avec un grand esprit. Lorsque nous admirons un beau monument, notre esprit se complaît dans son contact avec le génie de l’artiste ; notre âme est agrandie, comme si nous discutions vraiment avec l’auteur ; nous nous jugeons plus grands et plus forts.

L’architecture est donc un art exceptionnel ; jamais son étude ne peut être souillée par le rapprochement impur d’une impulsion passionnée ; elle est chaste et commande la chasteté autour d’elle. Y a-t-il rien de plus pur et de plus noble que les cariatides de l’Érechthéion ? On nous objecterait vainement quelques scènes lubriques représentées sur des chapiteaux romans ; mais, à cette époque, la sculpture n’est, le plus souvent, qu’une superfétation ; rien n’empêcherait un imbécile de barbouiller les murs du Parthénon de croquis obscènes. Les gothiques ont coupé court à toutes les fantaisies des praticiens[1] et hautement manifesté la chasteté de leur art en adoptant une ornementation végétale à l’intérieur des églises.

Nous allons montrer, maintenant, comment l’analyse psycho-physique peut éclaircir des problèmes restés fort obscurs.

On sait quelles théories burlesques avaient cours, au commencement du siècle, dans les écoles classiques. On soutenait qu’un ordre, qu’un ensemble quelconque était beau, quelle que fût l’échelle de l’agrandissement : c’est ainsi qu’on a osé élever la bizarre église de la Madeleine de Paris. La théorie de Fechner nous apprend que cette doctrine est absurde dans son principe ; car si deux choses sont semblables, la similitude géométrique n’existe pas entre leurs représentations.

Les édifices du moyen âge paraissent généralement très grands bien que leurs dimensions ne soient pas extraordinaires. D’autre part,

  1. Il est probable que dans bien des cas les sculptures romanes ont été faites à la suite de la construction et en dehors de l’intervention des architectes. Ces caprices des propriétaires du monument étaient impossibles dans les œuvres gothiques, toutes les pierres ayant été taillées et sculptées avant la mise en place.