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g. sorel. — contributions psycho-physiques

humains en établissant leurs ordres ; la tradition, rapportée par Vitruve, est formelle et l’examen des dispositions adoptées ne semble guère permettre le doute[1]. De pareils rapprochements seraient aujourd’hui presque sans utilité, parce que notre esprit n’est pas préparé pour les comprendre.

Tout le monde est d’accord pour dire que l’œuvre doit-être rationnelle et intelligible, qu’il ne faut pas cacher les moyens employés, mais plutôt mettre en évidence le système de construction. Cette règle est devenue banale à force d’être répétée ; mais elle n’a pas été expliquée ou elle l’a été fort mal : nos constructions en fer sont établies d’après des formules scientifiques, tout y est apparent, et cependant elles sont d’ordinaire sans grande valeur esthétique.

L’architecte est tenu d’établir ses constructions d’après les meilleures règles de l’art de bâtir ; il doit combiner ses tracés d’après les méthodes les plus appropriées à la nature des matériaux employés ; mais il ne saurait faire comprendre au spectateur (si habile qu’on suppose celui-ci) que les poids de la construction sont répartis proportionnellement aux résistances des pièces ; tout ce qu’il peut arriver à rendre intelligible c’est le principe de sa conception.

Plus d’une fois l’artiste et le constructeur, associés pour l’édification d’un bâtiment en fer, ne peuvent s’entendre, parce que leurs tendances d’esprit sont, de tout point, opposées : le premier est pénétré de l’esprit de la physique, qui manque généralement au second. Presque toujours le constructeur est l’esclave de ses formules ; son esprit n’est pas assez philosophique pour arriver à comprendre la valeur réelle de la mécanique appliquée ; souvent même son jugement a été complètement faussé par l’usage continuel qu’il a fait de cette science, pleine de sophismes.

  1. Viollet-le-Duc remarque (Entretiens, t.  I, p. 83) les ressemblances qui existent entre certains profils grecs et des formes musculaires ; cela est frappant pour l’échine des chapiteaux doriques à la belle époque.

    Il faut aussi observer les cannelures, qui rappellent les tuyautages des anciennes robes de lin ; les colonnes du temple de Bassæ qui semblent habillées de longues tuniques ; la forme penchée des colonnes extrêmes qui s’inspire, évidemment, des attitudes bien connues des cariatides, etc.

    La colonne grecque est tout entière vivante et ne dérive d’aucun élément égyptien. C’est un point qui n’a pas été bien compris des archéologues, trop empressés de faire des rapprochements de formes. Les piliers circulaires des Égyptiens et des Perses sont des supports rigides, assez forts pour ne pas s’écraser sous la charge. La colonne grecque est un être vivant, qui soulève sans effort le poids du couronnement. Le caractère de soulèvement est bien marqué dans les échines du Parthénon.

    Cette théorie explique la manière dont les Grecs ont employé les règles modulaires dans la composition des ordres : un être vivant ne peut jamais beaucoup s’éloigner de son type moyen et ne peut jamais le reproduire exactement.