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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

« Rien ne dit, écrit M. Bergson (p. 116), que l’étude des phénomènes physiologiques en général et nerveux en particulier ne nous révélera pas à côté de la force vive ou énergie cinétique dont parlait Leibnitz, à côlé de l’énergie potentielle qu’on a dû y joindre plus tard, quelque énergie d’un genre nouveau qui se distingue des deux autres en ce qu’elle ne se prête plus au calcul. » M. Bergson a raison, sans doute, de laisser ouverte et subordonnée aux découvertes de la science, la question de la formule à donner de la quantité qui se conserve dans l’univers. Dans le principe de conservation il y a deux éléments bien distincts : l’un rationnel et à priori, l’affirmation que quelque chose se conserve en quantité constante dans l’univers ; l’autre à posteriori, la détermination de la nature de cette quantité. Ce second élément, que l’expérience seule peut déterminer, ne saurait assurément être considéré comme définitivement fixé, et nous accorderons aisément qu’il y aurait présomption de la part de la science présente à interdire à la science future toute modification aux résultats qu’elle a posés. Mais cette formule à venir du principe de conservation, devra nécessairement respecter le principe même de conservation. Comment comprendre qu’elle puisse renfermer un élément qui précisément serait soustrait à ce principe ? Comment comprendre que l’expérience puisse nous faire connaître dans le monde extérieur « une énergie qui se distinguerait des autres en ce qu’elle ne se prêterait plus au calcul » ? Cela paraît diamétralement contraire aux principes mêmes de la philosophie de M. Bergson. Suivant lui, en effet, c’est l’espace qui donne le nombre. Tout ce qui est spatial doit donc être calculable, quelle que puisse être d’ailleurs notre incapacité accidentelle de le calculer, faute d’instruments ou d’unités de mesure appropriés. Comment une énergie pourrait-elle

    lution ». Sous sa forme actuelle, c’est bien exact. Mais ne faut-il pas remarquer que d’une part, considéré dans ce qu’il a d’essentiel, le principe de conservation a au contraire joué un rôle important dans l’évolution de la science ? Y a-t-il une branche de la physique qui ne lui doive ses plus importantes théories ? Où en serait-on sans le besoin inexorable du savant de retrouver partout dans les transformations des phénomènes l’équivalent de ce qui semble s’évanouir ? D’autre part, cette évolution même de la science n’a-t-elle pas eu précisément pour effet de rendre la formule de ce principe de conservation de plus en plus rigoureuse et générale, loin de l’atténuer et de la restreindre ? Si la formule a changé et peut changer encore, n’est-ce pas précisément pour satisfaire de mieux en mieux au principe, qui semble pour ainsi dire devenir de plus en plus exigeant à mesure qu’on le comprend mieux et que les applications en sont plus variées ? En quoi, ajouterons-nous, la question de savoir si l’on s’est passé d’un principe est une question de fait, et un principe nécessaire, en droit, peut très bien avoir été méconnu. En quoi cela en infirme-t-il la nécessité ? Il est même assez naturel que l’homme doive penser longtemps et beaucoup pour reconnaître distinctement les exigences de sa pensée.