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plète corrélation entre la pensée et l’organisme ? D’une part, il pourra y avoir des volitions auxquelles ne correspondra aucun effet extérieur ; et alors votre volonté vous apparaîtra comme impuissante et vous éprouverez le sentiment découragé du paralytique qui croit pouvoir remuer ses membres et s’aperçoit qu’il ne le peut pas. D’autre part, vous aurez nombre d’actes qui surgiront dans l’organisme sans l’aveu de la conscience à la façon de mouvements réflexes. Ces deux cas présentent-ils la moindre ressemblance avec celui de l’acte libre ? Le corps marchant son train et l’âme le sien, au milieu de ces intentions sans résultats et de ces résultats sans intentions, que deviendrait le sentiment même de la liberté ?

Ce sentiment ne se retrouvera donc que là où la correspondance du physique et du moral ne sera pas en défaut, et nous voilà ramenés à la rétablir dans l’intérêt même de la liberté. Ce que nous avions pris pour une entrave était notre salut, comme pour le funambule de la fable son balancier.

Mais on pourra alors se rejeter sur la seconde hypothèse, si l’on craint encore d’enchaîner la liberté à la nécessité physique. Au lieu d’accepter le déterminisme physique, sauf à couper les liens qui l’unissent à la vie consciente, on supprimera ce déterminisme même, et dans ce double indéterminisme on pourra sans danger rétablir la corrélation psycho-physique. Les actes volontaires seraient alors des faits physiquement contingents en connexion avec des faits psychiques également contingents. Mais qui ne voit que le remède est pire que le mal ? Il faudra en effet, nous l’avons vu, que ces deux contingences se correspondent pour que nous ayons le sentiment de la liberté. Or comment comprendre une telle correspondance ? Quel étrange hasard que la liaison constante de deux hasards ! Invoquera-t-on l’harmonie préétablie ? Mais une harmonie préétablie ne se comprend justement que dans la liaison de deux déterminismes ; elle devient inintelligible dans le cas d’un double indéterminisme[1].

Nous ne voyons plus qu’un moyen d’échapper, c’est de supposer le psychique capable par lui-même de produire des modifications physiques ; à l’hypothèse d’une simple correspondance on substituera celle d’une causation véritable. La loi de conservation ne serait pas rigoureuse et il pourrait se faire alors qu’une énergie non soumise au calcul (traduisez supra-physique) produisit des effets physiques[2].

  1. Cf. Fouillée, La liberté et le déterminisme, 146-147.
  2. M. Bergson nous fait remarquer « qu’on s’est fort longtemps passé d’un principe conservateur universel », que « sous sa forme actuelle, il marque seulement une phase de l’évolution des sciences, et n’a pas présidé à cette évo-