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g. sorel. — contributions psycho-physiques

que de lointains rapports. Un procédé barbare consisterait à représenter la nature comme si on la voyait à travers une lunette dépolie. On a souvent cherché à formuler la loi générale à laquelle devait obéir la coloration d’un tableau[1] ; nous ne croyons pas qu’il y en ait, parce que le système de coloration adopté est la caractéristique de chaque maître et que nous ne croyons pas à la servitude de l’art. Chaque grand artiste adopte des procédés que ses élèves apprennent par routine : ils arrivent à voir les choses autrement que leurs camarades rivaux, chacun classant les objets d’après le mode de représentation adopté[2].

La sculpture ornementale fait un grand usage des végétaux : les procédés qu’elle emploie ont souvent embarrassé les meilleurs critiques. Viollet-le-Duc[3] se demande par quelles affinités mystérieuses les artistes du xiie siècle ont choisi des fleurs printanières, fort modestes, cueillies dans les bois et dans les terrains humides. La raison est facile à déterminer pour toute personne ayant un peu l’habitude des raisonnements psycho-physiques.

Nous ne nous arrêterons pas à signaler les raisons de convenance esthétique qui ont amené à abandonner les chapitaux décorés d’animaux pour revenir à la flore. Parmi toutes les manifestations, si variées, de la vie végétale, le sculpteur découvre le principe essentiel qui régit les formes ; longtemps avant que Sachs étudiât scientifiquement la tonicité, il s’est rencontré des artistes pour reconnaître quelle était la base de tout le développement des plantes.

Les Grecs, avec leur génie merveilleux, avaient choisi l’acanthe comme le type de la vie végétale ; dans les temples ioniens on trouve des acanthes traitées par des praticiens asiatiques ; les tracés sont respectés, mais la tonicité a disparu ; à côté on ne peut se lasser d’admirer les belles et puissantes tiges, pleines de sève, sculptées par les Grecs. Cette plante se prête à tous les caprices, car elle sait se contourner facilement pour éviter le moindre obstacle : ces contours sont toujours gracieux, car ce ne sont pas les enroulements d’un corps élastique, plié par une force étrangère, mais les manifestations d’une vie intense, qui dispose, à son gré, d’une force intérieure indéfinie.

Viollet-le-Duc observe avec raison que les formes des grands végétaux présentent[4] « une sorte d’indécision, de mollesse, qui ne peut

  1. E. Brücke, les Couleurs, traduction française, p. 276.
  2. On peut citer, comme un exemple bien singulier, la teinte complémentaire attribuée quelquefois aux ombres.
  3. Dictionnaire, t.  V, p. 488.
  4. Dictionnaire, t.  V, p. 488.