Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

d’une dépendance, d’une solidarité des faits. La répétition des faits est une garantie pratique, peut-être toujours incomplète, elle n’est pas le fondement de l’induction. Ici encore on conclura donc que sans doute notre science est inadéquate à la réalité, que ses lois ne formulent jamais complètement la détermination d’un phénomène, mais non pas que celle-ci est illusoire ou imparfaite.

Peut-être faudrait-il aller plus loin et remarquer que de nouveau on a dépassé le but. Parmi nos actes les plus uniques, les plus originaux sont loin d’être les plus libres. Los excentricités du fou le sont plus que les actes de l’homme raisonnable. Les actes réfléchis, ceux par conséquent qui sont traités comme libres, se ressemblent beaucoup plus entre eux que les actes irréfléchis (les cas d’habitude et d’instinct mis à part). Quand un homme agit en vertu de motifs dont nous ne trouvons pas l’analogue en nous, nous ne pouvons considérer son acte comme voulu, ni par conséquent comme libre, puisque nous ne voyons pas comment nous-mêmes nous pourrions le vouloir. Sa conduite nous paraît capricieuse ou folle[1]. Plus au contraire les hommes sont éclairés, plus ils font et pensent la même chose. Leurs divergences viennent de leurs ignorances et de leur inconscience, qui sont aussi les bornes de leur liberté. Il en est d’eux comme de la nature : c’est lorsqu’elle produit des monstres qu’elle est le plus nouvelle, mais c’est alors aussi qu’elle a été le moins libre, le plus gênée dans ses allures[2].

Ainsi, M. Bergson ne nous paraît pas avoir réussi à écarter absolument le déterminisme psychologique ; et, d’autre part, s’il y avait réussi, ce ne serait pas, croyons-nous, sans dommage pour la liberté.

III

Mais la question se complique si nous considérons que le problème n’est pas purement psychologique ; il est en réalité psycho-physique. Ce n’est pas seulement d’une manière artificielle et en vertu d’une habitude mentale que nous introduisons dans l’ordre psychique le déterminisme qui serait d’origine extérieure. La nature même établit en fait une connexion de ce genre, puisque nous sommes à la fois corps et conscience, et que dans le corps le sujet devient à lui même son propre objet. Une liberté qui ne s’exercerait pas dans le monde

  1. C’est cette idée que met en lumière Edgar Poe dans son conte du Scarabée d’or.
  2. Qu’on veuille bien prendre la comparaison pour une simple comparaison, sans nous attribuer cette pensée qu’il y ait dans la nature ni liberté, ni même contrainte au sens rigoureux de ces mots.