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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

male. Et cela est vrai des peuples comme des individus. Lorsque l’historien cherche dans une religion, dans un principe politique, dans un dessein explicite, la raison de certains événements de l’histoire d’un peuple, lorsque ce peuple lui-même, dans sa conscience nationale, se donne de ses propres actes une semblable explication, ils prennent bien souvent l’effet pour la cause. Ce ne sont pas ordinairement des croyances purement intellectuelles, des intentions nettement exprimées qui mènent à ces résultats ; au contraire, on accepte les unes, on formule les autres, parce qu’elles s’adaptent au fait accompli et le justifient. Ainsi nos motifs apparents ne sont souvent que des prétextes. Ce sont des vêtements dont nous habillons les véritables raisons de nos actes. Ce n’est pas parce que nous sommes optimistes que nous sommes heureux, mais parce que nous sommes heureux que nous sommes optimistes. Les tourments de Pascal devant l’infini n’étaient pas sans rapport avec sa dyspepsie. Calvin, quelques années plus tôt, aurait peut-être fait brûler beaucoup d’hérétiques ; et Torquemada, quelques siècles plus tard, aurait fait un bon Fouquier-Tinville. Ils auraient habillé leur tempérament à la mode du temps. Ce ne sont pas non plus tant les religions morales qui font les hommes moraux que les hommes moraux qui font les religions morales. On admire la force conquérante du monothéisme chez les Arabes ; mais les Hébreux étaient monothéistes sans être conquérants et les Romains conquérants sans être monothéistes. Il y a donc en l’homme un fond de nature inconsciente dont ses idées claires et ses aspirations avouées ne sont souvent que la traduction imparfaite et le reflet déformé. Que d’hommes se contentent de réduire leur caractère en système et se font de leur tempérament une philosophie !

Mais qu’y a-t-il au bout de tout cela ? La liberté ou son contraire ? Tous ces faits nous montrent sans doute combien est insuffisante l’explication des actes par les motifs, mais est-ce à l’actif de la liberté qu’il faut les porter ? Il nous semblerait bien paradoxal de le prétendre. Ils prouvent au contraire que nous ne sommes pas aussi souvent libres que nous voudrions le croire ni aussi complètement que nous nous plaisons à le dire. Est-ce être libre que d’obéir à des impulsions cachées, si intimement personnelles qu’elles soient ? Il est vrai qu’en obéissant à notre caractère, « c’est encore à nous que nous obéissons ». Oui, mais c’est aussi à nos parents, à nos ancêtres, à notre milieu social. Quand est-ce vraiment à moi-même que j’obéis ? C’est seulement lorsque la réflexion et la critique ont fait pénétrer leur lumière dans ces recoins obscurs de la conscience ; car alors j’accepte, par le seul fait de les comprendre, des impulsions