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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

nos yeux, encore mal faits à l’optique nouvelle à laquelle on veut les soumettre, qui persistent à voir du déterminisme et de l’indéterminisme là où il n’y aurait ni l’un ni l’autre ; mais M. Bergson nous semble osciller en réalité entre ces deux conceptions, comme nous le ferons voir dans notre conclusion. Voici dès lors, suivant nous, ce qui arrive : d’une part on nous présente une critique du déterminisme (une des plus originales assurément qui aient été tentées de longtemps) qui nous fait excellemment comprendre pour quelles raisons le déterminisme a dû paraître contraire à la liberté, et sous quelle forme il l’est en effet ; mais cela ne saurait équivaloir à un rejet absolu de tout déterminisme, rejet qui, à notre sens, n’était ni vraiment possible, ni même souhaitable dans l’intérêt de la liberté. D’autre part, en cherchant à éviter le déterminisme, on arrive malgré tout à faire d’inévitables concessions à l’indéterminisme, et cet indéterminisme à son tour, loin d’être favorable à la liberté, lui est plutôt fatal. Ainsi les efforts que l’on a faits pour échapper au déterminisme sans y réussir complètement, ont abouti à une conception de la liberté très peu conforme sur bien des points à l’expérience commune et au témoignage de la conscience. C’est ce que nous allons essayer de montrer.

Dans sa discussion du déterminisme psychique, M. Bergson s’attaque avant tout, nous l’avons vu, à l’associationnisme et à sa conception en quelque sorte toute mécanique du moi. Il n’a évidemment pas tort. Cette idée vraiment plus qu’étrange, que les motifs altèrent ou suppriment la liberté, n’a pu se faire jour que grâce à une conception de ce genre ; le sens commun ne l’eût jamais formulée. Nous voyons donc très bien ici pourquoi et en quel sens le déterminisme a pu être pris, pourquoi il s’est pris lui-même pour l’adversaire irréconciliable de la liberté. Mais tout déterminisme psychique est-il supprimé parce qu’on a détruit cette fausse conception d’un moi fragmenté, constitué par des éléments extérieurs les uns aux autres ? En rétablissant l’unité du moi, n’a-t on pas, au contraire, rétabli un déterminisme plus évident et plus radical ? La vie psychique, en effet, marchera dès lors tout d’une pièce ; nos actes ne seront plus l’œuvre d’une détermination partielle, mais d’une détermination totale. S’il y a une abstraction à dire que l’âme s’est déterminée par tel ou tel motif pris à part, parce que ce motif n’a pas une réalité vraiment distincte et se trouve intimement combiné avec l’ensemble du moi, c’est qu’alors donc l’acte résulte de l’état psychique total. Par là, on a sans doute retrouvé l’autonomie, élément fondamental (mais non suffisant) de la liberté ; mais en même temps on a substitué à un déterminisme superficiel un déterminisme plus profond. M. Bergson