Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
revue philosophique

récents sur la question de la liberté. C’est que nombre de ses plus ardents défenseurs oublient de nous dire quelle est exactement la chose qu’ils entreprennent de défendre sous le nom de liberté ; ils en parlent comme d*une notion qui n’aurait besoin d’aucun éclaircissement, disons le mot, d’aucune définition. Et quand ils arrivent à la définir (car on ne peut longtemps parler d’une chose sans laisser entendre de quoi l’on veut parler), ils omettent de nous faire voir si c’est bien à cette notion que leur argumentation s’applique. C’est ainsi, par exemple, qu’après avoir plaidé au nom de la morale en faveur d’une liberté dont la notion est d’abord plus ou moins laissée dans le vague, lorsqu’il est devenu clair que cette liberté dont on parle n’est au fond que l’indéterminisme, on omet de se demander si la morale est vraiment intéressée à cette liberté-là. M. Bergson, lui aussi, se refuse à définir la liberté, et pourtant il se dérobe en un sens au reproche précédent ; car il ne cherche pas à prouver ni à postuler la liberté au nom de quoi que ce soit ; il ne cherche aucun appui en dehors de la conscience même. Il tire simplement un voile ; il ne veut pas avoir à nous dire ce que nous voyons ; nous devons le voir et cela suffit.

Cependant, au risque de paraître encore possédés du démon de la quantité que l’on a essayé d’exorciser, nous nous demandons si cette fin de non recevoir est bien légitime. Une première raison nous paraît s’opposer à ce refus absolu de définir et d’analyser la liberté. En l’absence de toute définition, en efifet, la liberté ne pourra être rien d’autre que le sentiment même que nous en avons. Or nous nous demandons si la psychologie, si l’expérience commune elle-même, justifient cette manière de voir, et si, au contraire, elles n’établissent pas une différence sensible entre la liberté, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, et le sentiment que nous en avons. Ces deux choses ne sont nullement équivalentes, et la seconde paraît beaucoup moins variable que la première. Nous nous accordons pour ne pas attribuer une véritable liberté pratique à l’homme qui rêve, au somnambule, à l’homme atteint de quelque trouble mental. Cependant l’homme qui, en rêve, se voit agir, se voit libre dans son action ; le somnambule se sent également libre et s’attribue à lui-même, dans son sommeil, une responsabilité que nous nous refusons à faire peser sur lui, et que lui-même déclinera à son réveil ; l’hypnotisé même se sent libre aussi dans nombre de cas où il ne fait qu’accomplir une suggestion qui, aux yeux de tous, excepté aux siens propres, altère ou supprime sa liberté ; lors même qu’on lui révèle la suggestion dont il a été l’instrument, il arrive souvent qu’il persiste à prétendre avoir agi de lui-même et librement, qu’il s’obstine