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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

à l’acte qu’il accomplit » ; et l’auteur s’empresse d’ajouter que « ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres. On analyse en effet une chose, mais non pas un progrès ; on décompose de l’étendue, mais non pas de la durée. Ou bien, si l’on s’obstine à analyser quand même, on transforme inconsciemment le progrès en chose, la durée en étendue. Par cela seul qu’on prétend décomposer le temps concret, on en déroule les moments dans l’espace homogène ; à la place du fait s’accomplissant, on met le fait accompli, et comme on a commencé par figer en quelque sorte l’activité du moi, on voit la spontanéité se résoudre en inertie, et la liberté en nécessité. C’est pourquoi toute définition de la liberté donnera raison au déterminisme » (p. 167). Ainsi la liberté serait une donnée irréductible. C’est, pourrait-on dire, la subjectivité elle-même, dans son essence. Pour la voir, il faudrait ne pas trop la regarder, car notre regard analyste et décomposant, la figerait et l’immobiliserait, comme faisait le regard de la Gorgone. Et ainsi, comme M. Bergson a déployé ses remarquables facultés d’analyse à nous faire comprendre que nous ne devions pas nous analyser, il conclut en démontrant que la liberté ne peut pas être démontrée, et en la définissant par son caractère indéfinissable. Et si cette conclusion laisse le lecteur un peu perplexe (pourquoi ne pas avouer tout de suite que tel est un peu notre sentiment ?), M. Bergson lui répondra qu’il continue simplement à être hanté par le fantôme de l’étendue et de la quantité, et en appellera au fait immédiat.

Dans cette exposition, nécessairement fort incomplète, nous nous sommes uniquement efforcés de dégager le fond même, l’essence de la théorie, laissant de côté tous les éléments polémiques, qui la précisent, toute la discussion du déterminisme qu’elle fournit à son auteur. Nous allons d’ailleurs les retrouver maintenant, en la discutant à son tour. M. Bergson examine le déterminisme, d’abord sous son aspect physique, puis sous son aspect psychologique. Dans la critique, il nous paraît naturel de suivre l’ordre inverse, pour voir d’abord si, sur le terrain psychologique même, qui est proprement le sien, l’auteur réussit à écarter complètement le déterminisme, s’il y a même intérêt, et si la notion qu’il nous donne de la liberté est psychologiquement satisfaisante. Nous apprécierons plus facilement alors les rapports du déterminisme psychologique et du déterminisme physique, et les difficultés nouvelles que celui-ci introduit dans la question.

II

Une chose frappera certainement le lecteur au courant des débats