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M. Bergson, ce temps lui-même, temps homogène et mathématique, très différent de la durée vraie, n’est qu’un succédané de l’espace, forme de la connaissance objective. Puisque nous indiquons cette comparaison, nous nous demandons même si la conception de M. Bergson ne l’emporte pas en clarté et en cohérence sur celle de Kant. On comprend bien en effet, si l’on veut, que nous soyions obligés de soumettre les choses aux lois de notre pensée, et que ces choses, distinctes de la pensée suivant Kant, ne nous apparaissent que réfractées suivant les lois de notre optique mentale. Mais comment comprendre que la pensée se voie elle-même autrement qu’elle n’est, soit obligée, pour se penser, d’intercaler entre elle et elle-même quoi que ce soit, qu’enfin naturellement, primitivement et nécessairement nous nous voyions nous-mêmes comme des choses extérieures, à l’aide de certaines formes de sensibilité ? M. Bergson nous propose une théorie bien plus concevable, à notre avis, lorsqu’il nous présente une semblable altération de la conscience par elle-même, non comme primitive mais comme dérivée, non comme nécessaire mais comme contingente ; lorsqu’il nous montre la connaissance objective, soumise, elle, nécessairement, à certaines formes d’intelligibilité, déteignant après coup, sur notre conscience et créant en nous, à litre d’habitude acquise, la tendance à nous penser nous-mêmes comme une chose, à ne nous voir que du dehors, comme nous nous voyons dans un miroir.

Qu’est en définitive la liberté d’après toute cette doctrine ? Nous voyons bien où il ne nous la faut pas chercher et pour quelles raisons on a pu la méconnaître ; nous voyons bien aussi où, et dans quelles conditions, nous devrions, d’après M. Bergson, la retrouver. Mais qu’est-elle enfin ? Il n’est pas aussi facile de le dire. La liberté nous est donnée tout d’abord comme « un certain caractère de la décision prise, de l’acte libre », caractère consistant en ce que l’acte libre « émane du moi », porte la marque de notre personne » (p. 132). D’autre part, la liberté nous est encore définie comme force, comme cause dans l’acception dynamique du mot, par opposition à l’acception mécanique ; dans cette seconde acceptation, la causalité revient à une équivalence mathématique, qui ne saurait évidemment avoir de sens ni trouver d’application là où il n’y a pas quantité, mais qualité pure. Cette causalité dynamique ne comporterait pas la détermination nécessaire, et le déterminisme psychologique ne proviendrait que de la formation d’un concept hybride qui mêlerait les deux sortes de causalité, prêtant à l’une la nécessité qui n’appartient qu’à l’autre (p. 151 et s., et surtout 164-166). En fin de compte, la liberté est considérée comme « le rapport du moi concret