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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

ainsi dire à la violence que nous leur faisons et cherchent à se réunir. Nous prétendons alors qu’ils se conditionnent les uns les autres, parce qu’en effet ils ont besoin les uns des autres pour se compléter et de là vient l’apparente nécessité qui pèse sur la vie interne. Nous disons, par exemple, que telle croyance ou telle volition a été déterminée par tel sentiment et s’explique par lui, que par conséquent elle n’était pas libre. Mais, en réalité, il y avait là un tout indissoluble ; la liaison extérieure et en quelque sorte mécanique que nous établissons sous la forme d’un conditionnement, n’est que le substitut inexact et d’ailleurs toujours insuffisant du lien intime et dynamique, de l’unité vivante qui existait tout d’abord. C’est à peu près comme si, ayant brisé une statue, nous sentions la nécessité de rétablir le tout primitif, et que nous prenions alors le ciment et les crampons à l’aide desquels nous rattachons les morceaux disloqués pour le vrai principe de leur liaison.

Le moi présente donc deux aspects bien différents : « l’un, net, précis, mais impersonnel ; l’autre, confus, infiniment mobile et inexprimable, parce que le langage ne saurait le saisir sans en fixer la mobilité, ni l’adapter à sa forme banale sans le faire tomber dans le domaine commun ». « Au-dessous de la durée homogène, symbole extensif de la durée vraie, une psychologie attentive démêle une durée dont les moments hétérogènes se pénètrent ; au-dessous de la multiplicité numérique des états conscients, une multiplicité qualitative ; au-dessous du moi aux états bien définis, un moi où succession implique fusion et organisation[1] ». Le premier, le moi superficiel, que sa clarté même et sa meilleure adaptation aux exigences de la vie sociale nous rend plus familier, est celui que considèrent les déterministes, et il semble leur donner raison. Mais le second, le moi profond, que l’on oublie et qui est pourtant le plus réel, exclut au contraire le déterminisme en excluant la division, la quantité, la durée homogène.

On pourrait facilement rapprocher cette théorie de celle de Kant. Ce que M. Bergson appelle le moi superficiel est évidemment très analogue au moi empirique de Kant, soumis aux lois du déterminisme. D’autre part, à la place et dans le rôle du noumène kantien M. Bergson installe le « moi profond », la vie consciente prise dans son essence même, dans sa nature propre. Le premier est, comme la personne empirique, le résultat de l’altération du second par les lois de la pensée et les exigences de la science. Seulement, tandis que pour Kant, le temps est la forme propre de la vie interne, pour

  1. Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 96 et 97.