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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

déterministes. On n’essayera point de nous extorquer l’affirmation de la liberté au nom du devoir et de la moralité. On n’évoquera point le noumène pour servir de refuge à un pouvoir exilé et impuissant. On ne postulera pas la liberté ; on ne la démontrera pas non plus ; on prétend simplement nous la montrer, ce qui nous dispenserait de l’un et de l’autre. La personne pure, M. Bergson la cherche au fond de notre conscience même, dégagée des fausses représentations que nous nous faisons de nous-mêmes comme d’une chose, de l’esprit sous les formes de la matière.

L’idée dominante du livre de M. Bergson est en effet que nous avons le grand tort d’appliquer à la réalité externe et à la réalité interne, directement saisie par la conscience, les mêmes formes, les mêmes catégories. Nous perdons de vue la profonde hétérogénéité de ces deux mondes ; et comme la pensée est dominée, absorbée par l’objectif, séduite par la clarté de la science des choses, elle s’oublie elle-même, méconnaît sa propre nature ; et c’est aux dépens de la conscience que s’opère ainsi l’assimilation de l’interne à l’externe. L’homme, dirions-nous, a commencé, dans l’anthropomorphisme des mythologies primitives, par concevoir le monde à son image ; mais le monde le lui a bien rendu, lorsque la science abandonnant cette conception enfantine, lui a substitué la notion d’un monde inerte, mathématique, sans vie et sans volonté. Car cette conception abstraite des choses extérieures a en quelque sorte déteint sur l’idée que nous nous sommes faite de nous-mêmes. Habitués à ne penser distinctement les choses du dehors que grâce aux formes de l’espace, du nombre, du mouvement, nous devenons incapables de rien comprendre sans les appliquer. Nous arrivons alors à nous représenter le moi lui-même, à son tour, comme une sorte de petit monde où nos idées et nos sentiments gravitent les uns autour des autres, ainsi que des astres séparés, mais solidaires. Nous imaginons les phénomènes psychiques comme des choses distinctes distribuées dans une sorte d’espace vide qui serait la conscience, et qui s’attireraient, se repousseraient, s’entre-choqueraient entre elles. La vie sociale et le langage contribuent à fortifier cette illusion, à accentuer cette altération de notre conscience. Car pour entrer en relation avec nos semblables, nous sommes obligés de nous analyser et pour ainsi dire, de nous émietter nous-mêmes. Nous ne pouvons montrer de nous-mêmes aux autres que ce qui est déjà en eux, leur faire comprendre nos sentiments que par les leurs. Mais chacun de nos sentiments, chacune de nos idées tient à notre personnalité tout entière dont elle reflète la nuance, et l’exprime tout entière, bien qu’à un point de vue particulier, comme la monade de Leibnitz exprime l’univers.