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de les rappeler aussi brièvement que possible, dans leur rapport avec la question qui nous occupe. Au reste, cette brièveté, croyons-nous, ne nous expose pas à être injuste et à faciliter notre critique au détriment de la doctrine critiquée. Nous nous proposons en effet, avant tout, d’examiner si la notion que cette philosophie nous offre de la liberté résout les difficultés inhérentes à la question, et surtout si elle répond bien au fait même de la liberté tel qu’il se présente à la conscience, tel qu’il est reconnu dans la pratique, et proclamé (quel qu’il soit) par le sens commun. Il nous importe donc moins de savoir ce que valent les prémisses qui conduisent l’auteur à cette notion, que de bien examiner ce qu’elle vaut elle-même. Il nous paraît d’autant plus légitime de poser ainsi la question que justement M. Bergson ne vise qu’à dégager le fait de la liberté, considéré comme une donnée immédiate de la conscience, des paralogismes philosophiques, ou même des illusions psychologiques spontanées qui le dissimulent, et qu’il s’engage ainsi, plus que qui que ce soit, à se conformer dans le résultat final au témoignage de l’expérience immédiate.

I

Si en effet M. Bergson s’attaque à une des questions les plus usées de la philosophie, c’est aussi en s’emparant de ce qui semblait le plus banal, que son originalité la renouvelle ; et c’est par la voie qui paraissait la plus ouverte et la plus battue qu’il l’aborde. Tout son travail ne fait, en un sens, que restaurer et rajeunir le vieil argument tiré de la conscience, la preuve (bien improprement appelée ainsi), du sentiment vif interne de notre liberté. Cette liberté, il ne cherche pas à la démontrer, ni même à la définir, mais à nous la faire sentir, à nous la faire constater au fond de notre être ; à la naïve et vague constatation qui constituait toute la vieille preuve cartésienne et spiritualiste, il donne l’appui et ajoute l’intérêt d’une théorie profonde de la nature du moi et de la vie subjective, dont elle devient le corollaire final. Et de fait, il se dégage de ces pages pénétrantes et ingénieuses un sentiment de la réalité et de l’unité psychiques qui forme, à notre sens, un curieux contraste avec la subtilité des analyses par lesquelles l’auteur nous y amène. Ce serait, suivant lui, pour avoir méconnu cette réalité psychique, ses caractères propres, sa nature intime que partisans et adversaires du libre arbitre se sont heurtés à des obstacles insurmontables. Ainsi nous restons sur le terrain de la psychologie pure ; ni la morale ni la métaphysique transcendante n’interviendront pour nous sauver des conclusions