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g. sorel. — contributions psycho-physiques

Plus d’une fois des mathématiciens[1] ont cru que ce dieu caché ne devait pas être embarrassé pour résoudre des problèmes algébriques et que des calculs devaient être pour lu i un passe-temps assez agréable. Car chacun fait son idole à son image et à sa ressemblance. On a donc vu paraître pas mal d’équations du beau. M. Ch. Henry, étudiant (sur des dessins sans authenticité d’ailleurs) les vases grecs, a trouvé que les potiers de Cnide résolvaient, inconsciemment, par leur doigté, les équations assez complexes qui servent de règles à l’esthétique, d’après lui[2].

Toutes ces conceptions bizarres montrent qu’on néglige le principe du travail artistique. Le savant, le physicien, le critique procèdent par équations, thèses générales, syllogismes ; pendant longtemps on a cru qu’il n’y avait pas d’autre moyen de raisonner ; Stuart Mill a prouvé que ce procédé est, au contraire, assez rarement employé. L’artiste va toujours du particulier au particulier ; il ne ramène presque jamais son idée à quelque formule générale. Il semble même qu’il y ait presque incompatibilité entre l’invention artistique et la profondeur des jugements critiques, au moins dans la même période de la vie[3].

Très souvent on a dit que la science étouffe l’art ; cela est faux. Lorsqu’une école est en décadence, la mauvaise critique des professeurs ne parvient pas à discerner les véritables principes et impose aux jeunes gens des formules sans valeur. C’est ainsi que, durant longtemps, on prétendit qu’il n’y avait pas d’architecture possible

  1. Remarquons, à ce sujet, combien il est rare que les géomètres distingués comprennent les principes de la physique. On pourrait faire un joli recueil de leurs insanités, mais nous ne croyons ni bon ni loyal de faire ressortir les faiblesses du génie.

    Dans le cas actuel, leur erreur est d’autant plus excusable que l’on enseignait encore il y a peu d’années que l’assonance a pour base la simplicité des rapports, etc.

  2. Revue archéologique, 1890. À quoi ne peut-on pas arriver, quand on a la passion algébrique ? Un curé a prouvé que le rapport de la circonférence au diamètre permettrait de retrouver le texte hébreu de plusieurs psaumes de David. M. Ch. Henry, sous l’influence de préoccupations classiques chez les géomètres, remplace l’homme par un mécanisme très simple, un compas à 4 branches : toute la psychologie de cet homunculus est basée sur le plus ou moins de facilité qu’il a à décrire des cercles. Les vérifications, que l’inventeur croit trouver, ne prouvent rien, tant qu’il ne justifiera pas le principe de cette simplification : il faudrait établir que cette construction est la traduction des lois les plus générales et les mieux démontrées de la psychologie. C’est ainsi que Clausius a pu faire accepter, partiellement, sa théorie cinétique ; elle n’est qu’une formule équivalant aux seules lois connues des gaz. Même observation pour l’éther de Fresnel.
  3. Il est donc injuste de reprocher à un critique habile la faiblesse de ses propres œuvres. Viollet-le-Duc, dont l’esprit était si pénétrant, n’a pas marqué comme constructeur de monuments neufs.