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g. tarde. — le délit politique

ou à la race, qui ne changent pas. S’il dépendait principalement de ces conditions, il serait fixe et constant comme elles. Jusqu’à Luther, comme on peut le voir notamment dans le Précis de l’histoire de l’Église d’Occident par Charles Schmidt, la plupart des grands hérésiarques chrétiens ont pris naissance dans le midi de l’Italie, ou de la France, foyer de la civilisation et de la richesse européenne au moyen âge ; et c’est parce que la découverte de l’Amérique et celle de l’imprimerie ont eu pour effet graduel de transporter à l’ouest et au nord le courant commercial et civilisateur, que l’hérésie, comme le génie, s’est mise à éclore, depuis le xvie siècle, sous une latitude plus élevée. Au xive siècle, quand éclataient ces épidémies révolutionnaires par imitation de plèbe à plèbe, que Lombroso a remarquées, et qui ont sévi de 1378 à 1394, les plèbes de Rome, de Florence, de Palerme ont servi de modèle aux communes allemandes, aux hussites de la Bohême, aux bourgeois suisses. C’est toujours la nation ou la classe la plus brillante qui est imitée. Par cette même loi de l’imitation du supérieur s’explique un autre fait, que cite notre auteur : « Jusqu’à la moitié du siècle actuel, en Russie, les révoltes et les conspirations étaient localisées dans les hautes classes ; c’étaient des événements de palais. Mais, depuis, le régicide est descendu peu à peu dans les couches profondes de la nation. » Chez nous, l’exemple des révoltes a été donné à la bourgeoisie et au peuple par les chefs aristocratiques de la Fronde dont la tradition s’est perpétuée jusqu’en 1789 et a eu pour représentant le plus illustre le comte de Mirabeau. Si M. Lombroso eût tenu compte de cette loi, il eût été moins surpris d’un phénomène qu’il se donne beaucoup de mal pour expliquer : comment se peut-il faire que, la noblesse étant essentiellement misonéistique d’après lui, il y ait toujours eu, mais surtout jadis, tant de nobles à la tête de toutes les révolutions ? Ses efforts pour résoudre ce problème insoluble sont curieux. Mirabeau est représenté comme un dégénéré névropathe ! La vérité est que, loin d’avoir le misonéisme pour caractéristique essentielle, la noblesse, en ses jours de splendeur, est toujours amie des nouveautés, même des nouveautés qui tendent indirectement, par exemple les idées des Encyclopédistes et de Rousseau au dernier siècle, à ébranler son pouvoir.

Mais c’est assez critiquer M. Lombroso. Malgré tout, son livre est très intéressant, et s’il ressemble un peu trop à une forêt vierge, je m’aperçois que le laisser aller de mon article m’a enlevé le droit de l’en blâmer. Disons-le en finissant, M. Lombroso est un des agitateurs les plus passionnés, mais les plus sincères qui existent. C’est, à sa manière, un impulsif. Une forte excitation intérieure le pousse cons-