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g. tarde. — le délit politique

blables, ont eu les premières le sentiment de leur solidarité, de leur communauté d’intérêt ; puis elle a gagné les dernières couches du peuple, et l’intérêt commun des gouvernés a fini dès lors par prévaloir même sur celui des gouvernants. Quoi qu’il en soit, du reste, il résulte au moins du double contraste indiqué, que le crime et le criminel politiques, loin d’être l’objet d’une horreur exceptionnelle, comme cela s’est vu au xviiie siècle, lors de l’attentat de Damions, ont actuellement le privilège de provoquer l’indulgence ou la faveur universelle. Ce qui prouve que l’humanité en s’éclairant ne devient pas de plus en plus utilitaire, quoi qu’on en dise : en effet, si rien n’est plus généreux souvent que le mobile du conspirateur, rien n’est plus dangereux d’ordinaire que sa tentative, rien n’est plus ruineux ni plus destructif que son succès. Ni Pranzini, ni Prado, ni Eyraud n’ont fait au public qui demande leur tête autant de mal que les condamnés de la Commune dont il a réclamé l’amnistie.

C’est que le public est psychologue sans le savoir, beaucoup plus que sociologue ; et il trouve, avec raison, la psychologie de l’insurgé bien plus intéressante que celle du brigand ordinaire. Mais il faut avouer que souvent il est dupe des mots, ici comme ailleurs, et qu’il se hâte trop de ranger parmi les délinquants politiques des scélérats n’ayant rien de politique que le nom[1]. Dans un chapitre des plus instructifs, M. Lombroso nous montre combien de fois cette confusion a dû être faite. Passant en revue (p. 268 et s.) les régicides célèbres, Orsini, Fieschi, Hœdel, etc. il énumère les condamnations pour délits de droit commun qui avaient été, avant leur attentat, encourues par eux-mêmes ou par leurs complices. Elles sont nombreuses. Il fait la même remarque, non seulement d’après Despine et Maxime du Camp, mais d’après Cluseret et Vallès, relativement aux hommes de la Commune. Il l’étend aux chefs jacobins. Il ne perd pas une si belle occasion d’utiliser son type criminel. Si, malgré moi, je ne gardais toujours quelque méfiance à l’endroit de ses statistiques, je ne pourrais m’empêcher d’être frappé d’un fait qu’il avance : la proportion des individus porteurs de ce fameux type est, d’après lui, beaucoup plus considérable parmi les insurgés que parmi les révolutionnaires ; elle est très forte là où la cause du soulèvement est injuste, elle est très minime quand la révolte est légitime. Ainsi,

  1. Nous savons tous à quelles conditions l’affaire la plus simple du monde est réputée affaire politique et, comme telle, soustraite à la juridiction du bon sens et du sens moral. Il suffit qu’elle intéresse de près ou de loin un homme politique, ou qu’elle soit censée pouvoir exercer une influence quelconque sur le résultat d’une élection, fût-ce une élection municipale. — Remarquons que l’augmentation des affaires politiques ou qualifiées telles est un symptôme grave, un signe certain de perturbation sociale.