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voudrait, avec raison, voir substituer cette considération à celle de la préméditation, dont on abuse. Mais c’est surtout, me scmble-t-il, aux crimes politiques qu’il conviendrait d’appliquer cette doctrine. Si les meurtres passionnels sont dignes d’une indulgence particulière, cela est surtout vrai de ceux qu’une passion, non plus individuelle comme l’amour ou la jalousie, mais patriotique ou humanitaire, a inspirés. Cette passion est un danger, je le veux, et il importe d’en prévenir les nouveaux éclats ; mais, si l’on n’a égard en la châtiant qu’à l’utilité de « faire un exemple », et si l’on croit faire acte de profond homme d’État en ordonnant telle ou telle exécution capitale contre laquelle vont se soulever des protestations « senlimentales », on commet une erreur sanglante, qui devient plus grave et plus évidente chaque jour.

Les crimes politiques sont le dernier asile où ait régné jusqu’à nous l’utilitarisme pénal pur ; et l’on peut là le juger à l’œuvre. Frapper un rebelle dans la mesure où l’État croit avoir intérêt à le faire sans tenir le moindre compte du caractère vil ou noble de sa rébellion : telle a été la règle de conduite des chefs d’État dans tous les temps, même aux époques où l’on se flattait de proportionner la pénalité ordinaire au degré précis de culpabilité, de responsabilité morale. Mais notre siècle inaugure en ceci une ère nouvelle, qu’il est aisé de caractériser par le contraste du présent et du passé à deux égards, la peine de mort et l’extradition. Jadis, la peine capitale était un très important appareil social dont il ne nous reste plus qu’un organe rudimentaire ; elle fonctionnait partout et continuellement ; mais n’était ce pas surtout en matière politique qu’elle déployait tout son luxe d’atrocités, qu’elle trônait comme dans son domaine propre ? Il semblait qu’on eût pu la déloger de partout ailleurs, sans avoir l’idée de l’assiéger dans ce dernier retranchement. Aujourd’hui, c’est ici précisément qu’elle a été supprimée, pendant qu’elle subsiste pour les crimes de droit commun. Même antithèse en fait d’extradition. Les premiers traités par lesquels les États anciens ont stipulé l’échange de leurs criminels avaient trait aux criminels politiques, ceux-ci ont été extradés longtemps avant qu’on ait songé à saisir par delà les frontières les vulgaires assassins. Dans notre siècle, au contraire, l’extradition atteint les délits graves de droit commun pendant qu’elle épargne habituellement les délits d’ordre politique ; Je ne sais quelle explication physique ou physiologique de ces deux grands faits aurait fournie M. Lombroso, s’il les avait remarqués. Pour moi, j’y vois la suite des progrès immenses qu’a faits l’assimilation réciproque des nations civilisées en étendue et en profondeur ; elle a commencé par les classes supérieures qui, en devenant sem-