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g. tarde. — le délit politique

le dira. S’ils réussissent, on les saluera grands hommes ; s’ils échouent, on les fusillera. Sans doute, ils échoueront ou ils réussiront, le plus souvent, non toujours, suivant leur contradiction ou leur accord avec les idées et les tendances de leur milieu. Mais leur entreprise même prouve qu’ils ont cru s’accorder avec elles, pouvoir compter sur elles. Or, s’ils se sont abusés, de quoi sont-ils coupables ? De leur erreur. Mais là n’est pas la question. Dès le moment où ils ont pris les armes, et avant le dénouement de leur tragédie, l’homme de pensée et de cœur se croit le droit de juger leur conduite et de ne pas attendre, comme la foule, le résultat final, pour les applaudir ou les blâmer. Me direz-vous que c’est là un droit imaginaire, un pur préjugé ? Si vous me disiez cela, M. Lombroso, je ne vous croirais pas, car d’un bout à l’autre de vos livres, vibre énergiquement la fibre honnête de l’indignation ou du mépris contre toute sottise même applaudie, contre toute méchanceté même réussie ; c’est cela surtout qui attache à votre lecture, qui fait passer par-dessus tous les paradoxes et toutes les étrangetés. Vous avez beau dire, de bouche, que mérite et démérite ne signifient rien, qu’il est puéril de blâmer et de s’indigner, je vous vois avec plaisir flétrir à chaque page toute infamie et protester contre tout fait qui a donné tort au droit. Qu’un autre en cela vous accuse d’inconséquence, parce que vous êtes déterministe ; je le suis aussi et je prétends rester logique en m’indignant à l’occasion. Je me persuade même l’avoir prouvé. Droit, devoir, vice, vertu, bien, mal : notions toujours jeunes, patrimoine commun de tous les systèmes. « Quel pacte de ces mots nous a déshérités ? » dirons-nous avec le poète. Donc, il nous reste permis de nous demander, à la vue de cet ouvrier qui monte sur une barricade un fusil à la main, de ce régicide ou de ce présidenticide qui va mettre le feu à une bombe, s’il est ou non, et jusqu’à quel point il est coupable. N’est-il pas manifeste qu’il s’agit pour cela de scruter son cœur, avant tout, et d’y lire le sentiment qui l’anime ; de savoir si son mobile a été égoïste ou généreux, lâche ou héroïque ? Tel révolutionnaire, qui a combattu dans le sens de l’avenir, et à qui l’avenir dresse des statues, n’a été qu’un grand scélérat, concussionnaire et souillé de sang. Tel insurgé, acharné à un impossible idéal, à une cause perdue d’avance, chimérique ou prématurée, et, pour ce, pendu, guillotiné, fusillé, brûlé, suivant les temps et les lieux, est un héros qui a fait pleurer ses bourreaux mêmes de pitié et d’admiration. Ce que je dis là n’est peut-être pas politique, mais c’est moral ; et la morale, c’est, je l’espère bien, la politique de l’avenir. La nouvelle école italienne de droit pénal s’est fait honneur en signalant, à propos des homicides ordinaires, l’importance majeure et en partie méconnue de la nature du mobile. Elle