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que moralité et génialité font deux, car, après cela, nous lisons ce mélancolique aveu : « Nous voyons parmi nous les hommes les plus avancés concevoir subitement et adopter les nouvelles idées, y compris celles de la nouvelle école pénale, mais se comporter dans la vie publique bien moins correctement que les cléricaux, d’idées assez courtes, mais de conscience intègre ». Je cite ce passage comme un échantillon des surprises qui attendent le lecteur presque à chaque page de II delitto politico.

M. Lombroso est à la fois sévère et trop bienveillant pour l’esprit de conservation en général. Trop sévère en le qualifiant misonéisme, ce qui est une manière dénigrante et toute négative de le comprendre. Trop bienveillant en le regardant comme le seul état normal des sociétés. C’est oublier que l’accueil hospitalier fait aux nouveautés étrangères est aussi une de leurs fonctions non moins normales, quoique discontinue et intermittente. Si, au lieu de faire pivoter ses idées sociologiques autour de l’idée du nouveau et de créer une antithèse inféconde entre l’amour et la haine du nouveau, il eût pris pour notion centrale l’idée d’imitation et constaté la distinction universelle entre l’imitation du nouveau et l’imitation de l’ancien, il aurait évité bien des erreurs où son point de vue l’a entraîné. Il se fût gardé, d’abord, de considérer l’attachement à la tradition et à la coutume ou l’engouement pour les innovations contemporaines comme des caractères immuables, inhérents à une race ou à un peuple ; il eût pu voir, en effet, l’alternance de ces deux formes plus complémentaires que contradictoires de l’imitation. Il eût constaté sans nul étonnement que les peuples ou les départements les plus conservateurs aujourd’hui ont été à une époque antérieure très novateurs, et vice versa[1]. En comparant un certain nombre de cartes électorales d’un même pays à diverses époques avec un même nombre de cartes géniales de ce pays aux mêmes époques successives, de la France par exemple dans le courant de ce siècle, il eût sans nul doute vu les premières différer entre elles beaucoup plus profondément d’une date à l’autre que les secondes, en sorte que, si quelque coïncidence semblait apparaître entre l’une des premières et l’une des secondes, cet accord momentané et transitoire

  1. Les Ioniens ne sont pas toujours novateurs, ni les Doriens toujours conservateurs. Les premiers sont conservateurs en Asie Mineure, les seconds sont novateurs en Sicile et dans la Grande-Grèce. M. Lombroso explique ces prétendues anomalies pur des croisements de races. Je me demande comment le croisement des Doriens, nés conservateurs par hypothèse, avec des races autochtones encore plus routinières en tant que sauvages ou barbares, aurait pu donner des résultats diamétralement contraires aux tendances des deux races progénitrices.