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sensation » et qu’ils « redonnent après coup aux sensations une énergie de sentiment, que l’homme sauvage avait déjà trouvée dans la nature propre de la sensation ». Il ajoute que l’on peut trouver « dans ce renforcement… un exemple de l’harmonie merveilleuse, existant entre nos sensations et la nature extérieure. »

Wundt estime toutefois que ces associations ne sont pas l’origine de nos sentiments ; mais c’est là une question d’ordre bien théorique ; nous ne pensons pas qu’elle soit susceptible d’une solution dans l’état actuel de nos recherches. Cette solution n’aurait pas d’ailleurs pour nous grand intérêt, car elle n’avancerait pas beaucoup la théorie des beaux-arts.

VII

Presque toutes les recherches rationnelles à faire par la psychophysique, dans le domaine esthétique, s’appuient sur la loi d’harmonie que nous venons de formuler. Il est clair que la musique est ici hors de cause ; nous avons dit qu’elle occupe une place à part ; et elle doit être étudiée par une méthode particulière.

L’artiste est un être exceptionnel, doué d’une sensibilité spéciale, d’une faculté productive très intense et de très courte durée ; il raisonne autrement que le profane, il raisonne si vite et d’une manière si originale qu’il a peine à analyser ses actions, si bien que, revenu au repos, il peut rarement rendre compte de ce qu’il a fait.

La communication entre l’artiste et le savant est d’autant plus difficile que le premier se sert d’un argot, qui n’a pas de dictionnaire satisfaisant[1], dont il ne peut pas traduire les termes en langage scientifique ; c’est que pour lui les mots n’ont pas la valeur que leur attribue le logicien ; leur signification est toujours précisée par l’évocation d’images et de souvenirs très nets.

L’artiste, après la période de travail, ne comprend pas qu’il ait pu produire autant ; il s’imagine avoir agi sous l’influence d’une impulsion. Des philosophes peu observateurs répètent cette naïveté et vont, quelquefois, jusqu’à imaginer une puissance mystérieuse et infaillible guidant la main de l’artiste. Comme il n’y a pas de limites dans la voie de l’absurde, on a pu doter cette force inconsciente de toutes sortes de talents.

  1. Viollet-le-Duc (Dictionnaire, t.  VIII, p. 478), se plaint de cette terminologie impossible à définir correctement : « Il n’est pas de critique d’art qui, en parlant de la peinture, ne trouve à placer le mot clair-obscur. Qu’est-ce qu’un clair-obscur ? » Ces mots n’ont pas grand inconvénient tant qu’ils ne sortent pas des ateliers.