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calendrier du crime, dû à M. le docteur Lacassagne, nous avons eu celui du suicide et plusieurs autres. Celui du génie, j’en conviens, n’a rien de plus surprenant que les précédents, et je crois même qu’il renferme comme eux une grande part de vérité, contre laquelle je n’ai nulle raison de m’inscrire en faux. II y a, pour chacun de nous, des saisons inspiratrices qui se reproduisent aux mêmes mois de l’année. D’après Lombroso, le printemps et l’été verraient mûrir toutes les moissons et toutes les vendanges de l’esprit. Je n’enlre pas dans le détail de ses statistiques. Mais je crois qu’il convient ici de ne pas confondre deux choses bien distinctes : la production des œuvres d’art et celle des travaux scientifiques ou spéculatifs. Si les premières s’épanouissent plus volontiers pendant les mois d’enivrement extérieur, de soleil, de beautés naturelles, ajoutons de vacances, le philosophe et le savant ne retrempent-ils pas la vigueur de leur esprit dans la saison froide qui épure et recueille la pensée ? À cela on aurait beau objecter que Galilée découvrit les anneaux de Saturne en avril, et que la première idée de la découverte du Nouveau Monde vint à Colomb en mai et juillet, il pourrait rester des doutes sur la portée de telles observations, surtout si l’on remarque, au sujet de l’une d’elles, que les découvertes astronomiques ont dû forcément être plus fréquentes pendant la belle saison puisque, si les nuits sont plus courtes, elles sont beaucoup plus limpides.

On peut se faire une idée, ce me semble, assez exacte des variations en plus ou en moins que traverse au cours des diverses saisons l’inspiration philosophique, en consultant à ce sujet M. Ribot. Je le remercie d’avoir bien voulu dessiner pour moi, très approximativement, la courbe annuelle des manuscrits qui lui sont envoyés pour la Revue philosophique, depuis quinze années qu’elle vit et prospère. Un manuscrit de ce genre, il est vrai, n’est jamais mis à la poste qu’un certain temps après qu’il a été terminé, et sa composition est assez lente. Mais on peut, sans trop d’inexactitude, reporter, en moyenne, à un mois en arrière de la date de l’envoi, l’époque où l’auteur était dans le feu de son travail. Or la courbe des envois montre une forte dépression qui commence brusquement à l’époque des vacances, fin juillet, juste au moment des grandes chaleurs, et ne se termine qu’en octobre. En octobre et novembre, ce tracé se relève lentement, lance une vive poussée en décembre, s’abaisse un peu en janvier (à cause du jour de l’an sans doute), mais monte très haut en mars et se maintient à peu près jusqu’en juillet où, pendant une courte période avant les départs pour les vacances, elle fait jaillir une vive arête. Cela signifie qu’en novembre et février, aussi bien qu’en avril.