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nier rang. Les départements de la Meuse et des Hautes-Alpes, du Jura et de la Charente, présentent le même terrain (jurassique), etc. » On voit par là que Jacoby avait devancé Lombroso dans les recherches et les fouilles de cet ordre ; mais, après avoir fait des sondages inutiles, il avait abandonné ses puits comme font les ingénieurs, et son successeur, en y descendant, a cru y découvrir des mines exploitables. Autant, d’ailleurs, Lombroso est impétueux et précipité, autant Jacoby est calme et circonspect, admirable de méthode et de lucidité. S’il aperçoit un lien apparent entre deux phénomènes, il ne se hâte pas de le baptiser loi et de le généraliser. Il démêle souvent très bien, sous un semblant d’influence naturelle, une influence sociale. Par exemple (p. 546), il montre à merveille que, si les départements à grandes plaines sont les plus stériles en talents, contrairement à ce que Lombroso prétend observer, cela tient tout simplement à ce que les grandes villes, foyers rayonnants de génialité autour d’elles, sont situées dans les vallées, au bord des fleuves.

Jacoby, en revanche, à la suite d’une discussion approfondie, met hors de doute l’action de la race sur la production du génie. Mais la race, telle qu’il l’entend, est elle-même un produit de l’histoire et des causes sociales quelconques qui ont refondu à leur convenance le type humain. Á vrai dire, sa division de la France par races correspond si exactement à celle des anciennes provinces qu’elle est leur reproduction sous un autre nom, et parfaitement avouée du reste. C’est un plaisir de voir ce naturaliste, conduit, par la compréhension pénétrante de son esprit, à dégager l’importance prépondérante de l’élément historique et social, mieux que nul archéologue ou nul sociologue ne l’eût su faire. Il prend à part chaque groupe de départements constituant une province, et, dans chacun de ces groupes, montre clairement que la série des départements rangés suivant leur degré décroissant de génialité coïncide avec leur classement d’après la densité décroissante de leur population, et encore mieux d’après la proportion décroissante de leur agglomération urbaine. Voilà le résultat net et décisif de ses travaux sur ce point.

Est-ce une coïncidence simplement curieuse ou particulière à notre pays ? Non, M. Lombroso, dans son Uomo di genio, a voulu étendre à l’Italie la méthode de notre compatriote ; il a figuré aux yeux, par des teintes graduées, la productivité comparée des diverses régions italiennes en musiciens, en peintres, en sculpteurs, en architectes, célèbres ou distingués. Or, à l’aspect de ces six cartes, et quel que soit l’avis contraire de leur auteur qui n’a pas toujours l’habitude de se rendre même à l’évidence de ses propres observations, il est impossible de n’être pas frappé d’un fait qui saute aux