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beau désordre du monde, sans lien saisissable parfois, et non sans de fréquentes contradictions.

M. Lombroso a pour méthode de ne jamais définir, ni circonscrire les notions dont il se sert ; et, comme il s’attaque toujours à des notions très complexes ou très confuses, qu’il s’agirait avant tout d’éclaircir, il se persuade trop vite, par cette complexité et cette confusion complaisantes, qu’il qualifie synthèse, échapper au reproche d’inconséquence qu’il encourt assez souvent. Qu’est-ce qu’il entend par crime ? par folie ? par épilepsie ? C’est ce qu’on ignore tout à fait quand on a achevé de le lire. Rendons-lui toutefois cette justice, qu’il a fait de louables efforts pour distinguer en principe les actes insurrectionnels seuls délictueux d’après lui, des actes révolutionnaires, bien que, après les avoir opposés comme contraires, il les confonde perpétuellement dans ses calculs statistiques. Mais la délimitation précise de la simple révolte et de la révolution proprement dite, si tant est qu’elle soit possible à priori, avant le résultat final, suppose un esprit en possession d’une foi politique, ou, ce qui vaut mieux encore, d’une théorie sociologique. Dire que, « en somme, les révolutions sont des phénomènes physiologiques, les révoltes des phénomènes pathologiques », c’est se payer d’une comparaison, qui n’est pas même très heureuse, car la plus bienfaisante révolution est une crise toujours dangereuse pour la santé des nations. Puis, comment le savant auteur concilie-t-il ce caractère normal, physiologique, attribué ici aux révolutions, avec ce principe répété par lui passim que l’état normal des peuples est essentiellement le misonéisme, c’est-à-dire l’attachement conservateur aux coutumes, l’hostilité déclarée contre toute innovation ? Vous dites (p. 145) que le Christ et Luther ont provoqué des révolutions pures, mais que la Révolution française et « les Vêpres siciliennes », ont été en partie des révoltes. Je le veux bien ; mais, pour en décider ainsi, quelle est votre pierre de touche ? Je ne l’aperçois nulle part.

M. Lombroso n’a pas de sociologie arrêtée et propre. C’est là une fâcheuse condition pour aborder l’étude de la criminalité ordinaire, mais surtout, je le répète, celle de la criminalité politique. Je vois bien, cependant, qu’il s’évertue à combler ou à se dissimuler à lui-même cette lacune. Par tous les bouts à la fois, il saisit l’écheveau social, et, s’il ne le dévide pas, s’il l’embrouille au contraire, ce n’est pas faute de bonne volonté. Des influences innombrables, inextricables, qui concourent à produire un fait social quelconque, une révolte aussi bien qu’un trait de génie, il n’en omet pas une, pas même la plus minime ; et, successivement, avec une patience impatiente, avec une persévérance fébrile, il étudie le rôle qu’a bien pu