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il faut dans le premier cas tenir compte du processus de l’aperception[1].

Malgré tout, ce genre de recherches peut offrir un grand intérêt ; lorsque les résultats sont bien acquis, ils permettent de guider le psycho-physicien dans ses rapprochements et ses analyses.

Nous ne pensons pas que les conclusions déduites de l’étude du plaisir (en admettant même qu’on parvint à formuler des lois certaines) puissent servir de base à l’esthétique. On ne saurait soutenir sérieusement que toute excitation tonifiante (et par suite agréable) puisse être réputée appartenir au domaine du beau. Il nous suffirait de rappeler, à la rigueur, la puissance extraordinaire du sang sur tous les animaux. Tous les criminologistes savent que l’aspect du sang provoque des crises souvent terribles ; et peu de personnes sont complètement affranchies de cette surexcitation. M. Lombroso a fait connaître un assez grand nombre de faits qui démontrent que ce spectacle est l’aphrodisiaque le plus violent que l’on connaisse[2].

Dans les œuvres d’art elles-mêmes, nous avons reconnu qu’il existe un grand nombre de manifestations séduisantes, excitantes et cependant nullement esthétiques. Tout ce qui provoque, par exemple, la passion sexuelle, d’une manière désordonnée, mérite certainement le nom de plaisir, mais non de chose belle. Dans bien d’autres cas, il y a contradiction manifeste entre les jugements sur le plaisir et sur le beau. L’art ne cherche pas toujours à déterminer une excitation agréable ; bien souvent la musique religieuse a pour mission de troubler l’âme, de la déchirer, d’amener une crise douloureuse, de manière à nous arracher à notre quiétude, pour nous conduire, malgré nous, à une conception pessimiste. Le beau peut donc être déprimant, au moins dans un certain sens.

Les résultats obtenus par M. Féré ne conduiraient souvent l’artiste qu’à des déceptions. Il a vérifié les observations de Penza sur l’action psychique des couleurs : celles-ci seraient d’autant plus dynamogènes qu’elles sont plus rapprochées du rouge. Il semblerait que, pour donner beaucoup de grandeur et de puissance à un vaisseau, il conviendrait d’y jeter beaucoup de lumière rouge. Les artistes du moyen âge ont, au contraire, prodigué le bleu sur leurs vitraux et sur leurs voûtes : ce procédé n’a point pour effet de déprimer l’âme, mais de donner un aspect gigantesque à l’édifice et de remplir l’esprit d’une satisfaction calme et pleine.

Ce fait est facile à expliquer : il n’existe rien de plus beau, de plus

  1. Wundt, Éléments, etc., t.  II, p. 375.
  2. L’homme criminel, p. 665.