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Eugen Oreher. Die Physiologie der Tonkunst (la Physiologie de la musique). Halle-Saale, Pferfer, 1889, xi-128 p. in-8o.

Dans cette petite brochure, M. D. soumet à une critique sévère la théorie de Helmholtz. Il ne juge pas que Helmholtz, malgré l’importance de ses belles découvertes, ait suffisamment expliqué les secrets de l’harmonie et de la mélodie musicale. Les battements ne font pas à eux seuls la dissonance ; sans l’intervention de l’activité psychique, tout reste obscur, inachevé. « Dans les arts, il est vrai, les sens sont toujours les portes de l’âme, et les perceptions valent par elles-mêmes. « Dans le beau seulement, écrivait Schiller, le contenant fait le contenu. » Mais enfin, l’élément concret doit être reçu par l’âme, interprété, élaboré, et c’est sur quoi la physiologie pure passe trop négligemment.

M. Dreher, cela s’entend bien, rapporte ses critiques à une doctrine générale. Il est dualiste. Un abîme existe pour lui entre l’esprit et la matière ; les théories monistes n’ont pas réussi à le combler. C’est par une sorte d’harmonie préétablie que nous entrons en rapport avec le monde extérieur. Non pas le moi directement, le moi auquel appartient l’aperception de Leibniz. L’âme est entre les deux, et il ne faut pas l’identifier ; avec le moi, comme a fait Descartes. Le moi ne perçoit jamais qu’un produit tout préparé, élaboré par l’âme inconsciente. L’âme, selon l’expression de Pries, a une mathématique intérieure qu’elle applique à la perception des sens. Elle apprécie les formes du mouvement, et les traduit en sa langue, à laquelle l’espace et le temps servent de matériel ; puis le moi donne à cette langue la forme d’une perception sensible.

À chaque perception de nos sens, écrit M. D., notre moi perçoit un produit d’une force créatrice inconsciente. Par exemple, quand nous écoutons de la musique, nous sentons des pensées que nous avons introduites inconsciemment dans les sons qui frappent notre oreille. Il est vrai que dans la musique la pensée revêt la forme de la perception et n’est pas directement transmise. Mais c’est là le secret de notre plaisir ; il y a, comme disait Euler, à deviner dans la musique. Son expression purement concrète est sans importance ; ce qui la distingue, c’est de soumettre d’une manière tout à fait originale les perceptions de l’espace aux lois internes de la pensée.

Le lecteur trouvera dans cette brochure quelques pages techniques intéressantes, que je ne pourrais pas analyser sans les rendre un peu confuses. Il suffit d’avoir indiqué le point de vue. Par un côté, les recherches de M. D. touchent à celles de M. Lipps, que nous avons fait précédemment connaître. Peut-être ne sont-elles pas toujours aussi précises.

Lucien Arréat.