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g. sorel. — contributions psycho-physiques

intérêt sur cette question ; nous attachons une grande importance aux travaux du savant médecin, d’autant plus grande que nous ne partageons pas ses idées. Il a essayé de traduire par des mesures précises les effets produits par les divers sentiments. Il croit pouvoir conclure de ses observations que la sensation de plaisir se résout dans une sensation de puissance. Cette formule ne serait pas bien utile pour les applications psychologiques, car la sensation de la puissance serait difficile à apprécier ; ce n’est guère qu’une métaphore. En réalité, M. Féré a prouvé tout autre chose : il a montré que, dans les cas étudiés par lui, les sensations agréables provoquent une exaltation de la force du sujet. On pourrait donc dire que toutes les impressions favorables sont sthéniques, suivant la classification kantienne[1].

La loi énoncée par M. Féré ne paraît pas avoir toute la généralité qu’il lui attribue ; il semble même difficile à admettre, pour un psycho-physicien, qu’une formule aussi générale puisse régler tous nos sentiments. De plus, le savant médecin n’a examiné que des cas très simples ; le phénomène est beaucoup plus complexe quand il s’agit d’émotions[2].

Il résulte du travail de M. Féré que les observations dynamométriques manquent souvent de précision et de netteté ; on peut être assez souvent induit en erreur, même lorsqu’il s’agit de choses aussi simples que les impressions produites par un disque tournant à droite ou à gauche[3].

On doit à M. Lombroso des recherches faites avec soin, au moyen du sphygmographe, sur des criminels, en vue d’étudier leurs émotions. Les chiffres qu’il a obtenus sont, le plus souvent, contradictoires[4] : une même excitation peut provoquer soit un désir ardent, accompagné d’une tendance au mouvement, soit un regret et une dépression. La vue d’une bouteille de vin produit presque toujours le premier effet, mais quelquefois aussi le second. De pareilles expériences ne peuvent donc pas fournir des résultats probants par eux-mêmes ; le phénomène a besoin d’être, au préalable, analysé et l’observation doit être interprétée.

Dans les expériences de M. Féré l’analyse s’impose aussi, bien que les conditions soient beaucoup plus simples : ainsi on ne saurait comparer exactement un disque en mouvement à un disque en repos ;

  1. Anthropologie, traduction Tissot, p. 221.
  2. Wundt, Éléments, etc., t.  II, pp. 371-377.
  3. Revue phil., mars 1886, p. 253.
  4. L’homme criminel, traduction Régnier, p. 310 et suivantes.