Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/323

Cette page n’a pas encore été corrigée
313
a. espinas. — les origines de la technologie

venons d’indiquer était le sentiment d’une obligation personnelle envers des pouvoirs divinement institués. De même que dans la maison les membres de la famille s’inclinaient devant leur chef, parce qu’il était le ministre du culte ancestral, dans la cité, les citoyens obéissaient aux archontes et antérieurement les membres de la tribu obéissaient au roi, parce qu’ils leur attribuaient une nature supérieure, parce qu’ils les considéraient comme étant d’une autre race qu’eux-mêmes, et pouvant seuls par leur parenté avec les dieux assurer le salut commun. Ce que Platon et Aristote disent du roi (βασιλεύς)[1] primitif, qu’il est supérieur de naissance aux autres hommes, exprime, en effet, l’opinion que les sujets avaient d’eux. La subordination envers de tels maîtres était donc, comme le disent avec raison ces philosophes, volontaire, en tant que reposant sur des lois ou règles inscrites dans la conscience. De même que, dans le chœur apollinien, les muses savent de science innée et exécutent librement leur partie à l’unisson, ainsi dans la société antérieure aux institutions démocratiques, des impulsions naturelles mettent les volontés des sujets d’accord avec les volontés des princes. La crainte des supplices, la misère, l’impuissance et l’ignorance des uns, la richesse, les lumières et la puissance des autres ne jouaient-elles aucun rôle dans la cnhésion de cette société ? Loin de nous la pensée de le soutenir. Mais ce qui était au premier plan et ce qui méritait de l’emporter dans le souvenir des historiens philosophes, c’était la spontanéité du concours prêté jadis par les Grecs à leurs chefs sous l’empire de croyances qu’ils avaient faites, de règles qu’ils s’étaient données à leur insu et qu’ils croyaient divines.

De telles règles n’obligeaient que les citoyens envers les citoyens de la même ville. Le droit, la morale, étaient bornés aux mêmes limites que le culte. Quand se formèrent les confédérations religieuses, les cités associées eurent des devoirs les unes envers les autres sans que ces obligations eussent le temps de revêtir le caractère de droits positifs. Mais le non-Grec et l’esclave restèrent en dehors de la société politique et morale, comme ils étaient en dehors de la religion. Les techniques traditionnelles sont toujours héréditaires comme les instincts sont spécifiques.

Toutes les techniques de cette époque ont donc les mêmes caractères. Elles sont religieuses, traditionnelles, locales. Les mythes que nous avons exposés d’abord en sont donc l’expression fidèle bien que symbolique. Nous avons opposé ce mode d’explication à la projection organique, qui consiste en une objectivation inconsciente

  1. Platon, le Politique, 271, e ; Aristote, Politique, livre V, 1313, a.