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tice et l’administration, choses divines pour ses maîtres, l’étaient encore bien plus pour lui : il en recevait les bienfaits ou les disgrâces comme les sourires ou les intempéries du ciel. Peu à peu cependant le nombre des familles riches augmenta ; les situations s’égalisèrent et le pouvoir des nobles fut menacé. Alors, ou bien les avantages sociaux furent partagés entre tous ceux qui pouvaient justifier d’un certain revenu : la timocratie fut une halte sur le chemin de la démocratie ; ou bien la foule croissante des petits propriétaires aidée du vil peuple se fit un chef pour lutter contre les nobles : la tyrannie apparut. Avec cette série de révolutions commence une nouvelle ère politique ; mais jusque-là l’idée même de changer les lois fondamentales ne pouvait venir pas plus aux classes gouvernées qu’à la classe gouvernante. La société politique était pour tous comme un chœur céleste à jamais enchaîné aux mômes mouvements.

L’armée était l’expression la plus exacte de cet état social. Du temps d’Homère, les rois et les princes sillonnaient le champ de bataille des allées et venues de leurs chars, et le peuple avançait ou reculait avec eux ; eux seuls étaient redoutables ; eux seuls pouvaient récolter la gloire des combats. Plus tard la cavalerie fut peu à peu délaissée ; la formation d’un hoplite exigeait un apprentissage prolongé qui excluait l’instruction également fort longue du cavalier ; au vie siècle, Athènes n’a presque pas de chevaux et les Spartiates n’en ont pas du tout, l’infanterie d’élite tient partout le premier rang. Or quelle est la tactique de ces hoplites, bardés d’airain ? Ils s’avancent contre l’ennemi en une seule ligne ou en rangs peu épais, serrés les uns contre les autres, d’un pas cadencé, au son des instruments, de manière à ne former qu’une seule masse, et doivent frapper tous ensemble la ligne ennemie du choc de leurs boucliers[1]. C’est encore le chœur, tourné cette fois contre l’ennemi de la cité : il vaut par son ordre simple, par l’homogénéité de ses éléments, non par la rapidité et la variété de ses évolutions ; il est d’autant plus sûr de la victoire qu’il est plus solide et plus fixe. Au lieu de quelques héros combattant çà et là dans la mêlée confuse des gens de pied, nous voyons deux cités en présence et dans chacune d’elles un accord des volontés, une abnégation de l’individu, une solidarité matérielle et morale qui donne l’idée d’un seul ζῶον marchant et combattant avec des milliers de membres et une âme unique. Cette âme est, en effet, celle du dieu qui fait l’unité du groupe.

En l’absence d’un droit écrit, la politique devait se confondre avec la morale. Le ressort interne de l’organisation politique que nous

  1. Alb. Martin, les Cavaliers athéniens, p. 428.