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moins qu’il y ait eu depuis Homère jusqu’à Eschyle des médecins laïques, exerçant leur art d’après les seules indications de l’expérience. Pour nous, nous ne pouvons croire à un tel anachronisme sur les preuves qu’on nous en fournit. Ce qui caractérise la médecine de ce temps, c’est précisément l’absence de documents écrits, car les inscriptions qui constataient pour chaque cas dans le temple de Ces la maladie, le traitement et l’issue n’étaient que les premiers vestiges de véritables observations médicales, et les sentences cnidiennes appartiennent, comme les sentences des gnomiques en général, aune période où, les longues rédactions scripturales étant encore impossibles, on était forcé de condenser les résultats de l’expérience et de la réflexion en brefs apophtegmes que la mémoire pouvait facilement retenir. Or là où l’écriture ne peut encore servir aux discussions scientifiques, la tradition, l’autorité gardent encore leur empire.

L’hygiène joue un grand rôle dans cette médecine dépourvue de ressources et trop souvent réduite, quand elle veut intervenir, à des pratiques brutales. Si la nature est divine, la maladie n’est plus qu’un châtiment et le corps, préservé des excès, développé par des exercices convenables, doit garder l’équilibre parfait : de là l’importance accordée de bonne heure au régime et à la gymnastique. Les cités doriennes avaient institué un système d’éducation où l’entraînement musculaire tenait une place considérable. Mais d’une part ce système laissait périr tous les débiles, tous les mal conformés, comme si Dieu lui-même n’avait pas voulu qu’ils vécussent[1] ; et d’autre part on faisait courir les fiévreux pour les ramener à l’état de nature ! Dans les grandes agglomérations d’hommes, le défaut de précautions hygiéniques faisait éclater des maladies terribles, comme par exemple à Delphes où nous voyons périr une fois — et cela devait arriver fréquemment — quatre-vingt-dix-huit sur cent des jeunes garçons envoyés par les habitants de Chios[2]. Quand les prêtres assignaient des lieux choisis pour la fondation des villes et l’érection des temples, ils se guidaient moins sans doute d’après des motifs scientifiques que d’après la prédilection attribuée aux dieux pour l’air libre et la lumière. Et les grands feux nocturnes allumés sur l’ordre des personnages sacrés qu’on faisait venir en temps d’épidémie avaient pour but plutôt une purification religieuse, que l’assainissement de l’air, d’ailleurs tout à fait impossible par ce moyen.

Dans l’éducation, la religion était maîtresse. La récitation et le

    dans l’armée leur place marquée à côté des aruspices et des musiciens, comme servants d’Apollon.

  1. Platon, République, livre III.
  2. Hérodote, VI, 27.