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a. espinas. — les origines de la technologie

dition religieuse, considérant la maladie comme une infliction divine que les moyens enseignés par les dieux peuvent seuls ou le plus efficacement guérir, a pris en Grèce depuis Homère jusqu’au ve siècle une extension considérable. On l’a vu, Hésiode croit que la maladie est envoyée par Jupiter. Pour Selon les médecins exercent le métier de Pæon, le médecin des dieux. Aux remèdes adoucissants, ils ajoutent l’effet d’attouchements mystérieux. Mais leur art est peu efficace. « Le Destin distribue aux mortels tantôt le bien, tantôt le mal ; les dons (heureux ou funestes) que les dieux nous envoient ne peuvent pas être évités. Toute œuvre est pleine de dangers et nul ne sait où aboutira le travail commencé[1] » L’idéal du médecin a été, selon Pindare, réalisé par Chiron[2], fils de Philyre, rejeton de Kronos, maître d’Esculape ; celui-ci se sert, pour guérir, de remèdes, d’incisions et d’incantations ; mais la science du maître ne peut être égalée par celle du disciple, qui est mortel. Eschyle[3], Hérodote[4], Sophocle[5] font encore dépendre les épidémies de la colère des dieux. Euripide enfin distingue deux sortes de maladies : celles qui viennent d’elles-mêmes, par un enchaînement de causes physiques, selon les théories de ses contemporains ; et celles qui nous viennent des dieux ; celles-ci nous les guérissons par des rites (νόμῳ). En présence de l’opinion universellement accréditée que la maladie vient des dieux et que certaines familles ont seules le don de la guérir, est-il possible de douter que ces familles aient reçu des dieux un tel privilège ? Un moment vint où dire de quelqu’un qu’il était fils d’Esculape signifiait seulement qu’il avait puisé à bonne source la tradition indispensable, qu’il était médecin, en un mot ; mais une telle locution n’a pu s’établir que si, à l’origine, les Asclépiades et les Pæonides ont été regardés comme dépositaires exclusifs d’un art divin et comme mandataires du dieu révéré dans l’Asclépiéion ou le Pæoneion. Il est parfaitement établi que la médecine a été exercée dans les temples comme une branche de l’art divinatoire[6] : il l’est beaucoup

  1. Fragment 13 dans Bergk. Cf. Daremberg : État de la médecine entre Homère et Hippocrate, 1869, p. 8.
  2. À rapprocher de Eucheir. Chiron est habile de la main, et les médecins sont des χειρουργοί. La chirurgie, art de bander et de panser les plaies, semble avoir devancé la médecine.
  3. Supplic., vers 650-660.
  4. Antigone, 1141-1145 ; Œdip. rex, 25 et sqq. et 190.
  5. Hist., VI, 27.
  6. M. Bouché-Leclercq l’a démontré dans son livre sur la Divination, t.  I, p. 287 ; II, 373 ; III, 373. M. Daremberg le reconnaît lui-même, Hist. des sciences médicales, vol.  I, p. 81, en note. Cf. Blümner, Manuel de Hermann, §  38. Les médecins vont dès lors de ville en ville, quelques-uns même sont attachés d’une manière durable aux Etats ; mais dans les Etats doriens, à Sparte, par exemple, ils ont