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rons, ne s’est produite que plus tard. Liées aux croyances locales, les monnaies différaient donc avec les cités et leur essor fut entravé tant qu’on ne parvint pas à inventer des moyens de les mettre en rapport les unes avec les autres.

Les poids, nous l’avons vu, n’étaient autres que les monnaies mêmes. Quant aux mesures de capacité elles sont, dès l’origine, dérivées de sensations moyennes prises pour types ; par exemple le chénix contenait autant de blé, disait-on, qu’il en fallait à une personne pour la nourriture d’un jour ; le médimne correspondait à la charge d’un homme vigoureux. Peu à peu ces mesures participèrent au caractère religieux qui envahissait toutes les branches de la pratique sociale ; elles furent déposées dans les temples. Les premières foires eurent lieu aux jours des grandes solennités sacrées, les transactions quotidiennes furent placées sous la protection et le contrôle de divinités dont la statue s’élevait dans les marchés. Le crédit naquit dans les temples et les prêtres de Delphes furent les premiers grands banquiers des États grecs.

Un savant critique s’est appliqué à montrer que la médecine dès les temps homériques est indépendante de la religion dans une certaine mesure. Esculape est un homme et la connaissance qu’il a des régions du corps, de la gravité des blessures et des remèdes efficaces semble due à l’observation plutôt qu’à une révélation divine. Mais il ne faut pas oublier d’abord que le médecin par excellence n’est pas pour Homère Esculape, mais Pæon, le médecin des dieux ; que la peste est pour lui une affliction céleste, et que ce n’est pas un médecin, mais Calchas, que l’on consulte pour aviser aux moyens de conjurer le fléau. Ensuite on doit craindre de se méprendre sur la vraie signification du naturalisme homérique. Tant que la doctrine contraire du surnaturel n’a pas été formulée, il n’y a pas de naturalisme véritable. Certes beaucoup de pratiques se sont développées au début de la civilisation hellénique sans être rattachées à une origine religieuse ; nous l’avons constaté pour plusieurs des techniques ; il ne faut pas en conclure que ces techniques ont traversé alors une période proprement laïque. Boire quand on a soif, manger quand on a faim, poser sa main ou un bandeau sur une blessure pour empêcher le sang de couler, jeter de l’eau froide sur une brûlure, éviter de froisser une plaie en voie de cicatrisation sont des actes instinctifs comme celui du chien qui se purge avec de l’herbe ou lèche une région enflammée de son corps. La médecine laïque digne de ce nom, c’est-à-dire consciente de son indépendance rationnelle, n’apparaît qu’après la médecine religieuse et en opposition avec elle.

Avec ces réserves, on peut dire que la médecine fondée sur la tra-