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plus complète inconscience sociale. Il est certain aussi que, de bonne heure, puisque les mesurages incessants étaient impossibles et que le contrôle des sens était insuffisant, la confiance qu’inspiraient les mains desquelles on tenait ces lingots a dû jouer un grand rôle dans leur acceptation ; la circulation était assez limitée pour qu’on pût de proche en proche certifier cette origine. Il est difficile qu’un phénomène social de cette importance ait pu se produire sans la coopération de la croyance. Bientôt certaines marques particulières furent employées pour attester cette origine[1]. Les grands empires asiatiques qui connaissaient les cachets et les sceaux n’avaient point songé à les utiliser pour la garantie des métaux d’échange ; certaines cités de la Grèce asiatique conçurent cette pensée et la monnaie naquit. Mais pour cela il fallut que les membres de ces associations politiques eussent pour l’autorité qui garantissait la pureté et le poids des lingots ainsi marqués, une confiance, un respect dépassant de beaucoup ce qu’on pouvait accorder alors de confiance et de respect à un homme ou à un gouvernement humain. Il fallut que la marque ait un caractère religieux : la foi a eu sa part dans la création de la monnaie.

Deux États, l’un d’Europe, l’autre d’Asie, sont cités par des auteurs dignes de foi comme ayant frappé les premières monnaies ; les rois de Lydie auraient frappé la première monnaie d’or à Phocée ; Phidon, roi d’Argos, la première monnaie d’argent à Egine. L’assertion d’Hérodote et de Xénophon attribuant la priorité à la Lydie nous paraît comporter la vraisemblance la plus haute. Phidon ne peut être que de la première moitié du viie siècle ; avant ce moment, il n’y a pas d’inventeurs ou de vulgarisateurs nommés. De plus, s’il a, comme on le raconte, déposé les obéliskoi d’argent dont on se servait avant lui, dans le temple d’Héra, en même temps qu’il lançait dans la circulation ses écus ovaloïdes, sans aucun doute ce n’est pas lui qui a inventé ceux-ci, car il est contraire à toutes les lois du devenir social qu’une invention de cette sorte se produise ainsi brusquement au lieu de provenir par transformation lente d’un type d’action antérieur. Il n’a fait que ce que pouvait faire l’introducteur d’une nouveauté étrangère, essayer de fléchir les dieux en leur rendant en quelque sorte l’ancienne monnaie qu’il osait abandonner. Les statères d’électron (or mêlé d’argent) de Lydie apparaissent au contraire sans nom d’inventeur ; ils accusent une technique perfectionnée par de longs essais ; ils portent l’effigie du renard, attribut de Bassareus, le grand

  1. Telle est la conclusion de Curlius, I, 293, et de Lenormant, Monnaies et médailles, Quanlin, p. 22. Il est encore normal que l’or ait été frappé avant l’argent.