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a. espinas. — les origines de la technologie

On peut à peine croire qu’avant l’invention et la vulgarisation de la connotation scripturale, un système de mesures approximatives de l’espace, du temps, du poids et de la valeur se soit développé dans les pays de culture grecque. Tel est cependant le fait et ce fait commence même antérieurement à la période que nous étudions ici. Avant, en effet, que l’espace et le temps soient mesurés, il faut qu’ils soient constitués qualitativement, c’est-à-dire que, d’une part, des régions soient distinguées et rapportées à un centre, d’autre part des époques soient établies et rattachées à un commencement. C’est à cette condition que l’homme peut exercer son action à distance et s’emparer de l’espace d’une part, prévoir l’avenir d’autre part et dominer le temps. Tout ce travail s’est fait en Grèce inconsciemment sous l’empire des croyances religieuses.

L’idée religieuse prend d’abord comme centre le foyer, autel du culte domestique ; au-dessus, les régions célestes, séjour des dieux de l’éther ; au-dessous, les régions souterraines, séjour des mânes et des divinités telluriques et infernales. Quand le suppliant se tourne vers le nord, comme il doit le faire d’après les rites, il a à sa gauche la région de l’obscurité et de la malédiction, à sa droite la région de la lumière et du succès. Et il y a autant de mondes que de foyers, tous immuables, tous liés d’une manière indissoluble au coin de terre où sont ensevelis les ancêtres. La religion de la cité fonde sur une base semblable, c’est-à-dire sur le culte des ancêtres communs à tous les membres de l’association, et ensevelis en un même lieu, une organisation cosmique plus compréhensive, à laquelle les mondes, constitués par les cultes privés se subordonnent. La religion de la Hellade, à son tour, choisit pour centre Delphes, ombilic du monde et c’est autour de l’autel pythique que se disposent les diverses régions de l’univers peuplées de cultes locaux, environnées par l’Océan, père des dieux. Cette religion permet une sorte de classification technique déjà très générale des régions, en ce sens que toutes les hauteurs sont consacrées à Zeus et à Apollon, toutes les mers et toutes les sources à Poséidon, tous les volcans et les mines à Héphaistos, toutes les villes à Minerve, tous les marchés à Hermès, tous les carrefours à Hécate, etc. Mais cela n’empêche pas chaque lieu d’avoir sa divinité spéciale, en tant que consacrée à un culte privé ou public. De ce point de vue, l’espace offre à l’action un champ exploré où aucun lieu n’est indifférent, où l’homme sait d’avance quel risque il peut redouter, quel secours il peut obtenir. Le sort qui attribue ce morceau du sol à tel ou tel peuple, lors des fondations de ville, à tel ou tel individu, lors des partages qui suivent les émigrations, est une forme de dévolution céleste, une loi