Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
revue philosophique

poésie lyrique. La tradition attribuait à la première prêtresse de Delphes l’invention de l’hexamètre. Quand, au vie siècle, l’inspiration poétique, au lieu de rester au service de la religion commune, célèbre les succès individuels, quand l’art devient indépendant de ses fins sociales, la période objet de ce chapitre est close virtuellement.

Pendant toute cette période, l’écriture prend naissance en Grèce et se vulgarise lentement. On sait que les poèmes d’Homère n’ont pu être coordonnés qu’au temps des Pisistratides ; c’est sans doute pendant le siècle précédent (le viie siècle) qu’ils avaient été transcrits peu à peu : jusque-là les poèmes des divers genres n’existaient que dans la mémoire des hommes. Or l’emprunt de l’écriture aux Phéniciens et la constitution de l’alphabet grec est l’œuvre des sanctuaires. Les première documents écrits sont des sentences et des traités conservés dans les temples ioniens sur les peaux des victimes. « Dans la Grèce européenne, l’écriture s’est introduite en divers endroits indépendamment les uns des autres et tout d’abord en Béotie, où elle fut étroitement liée au culte d’Apollon. Les plus anciens caractères cadmiens se voyaient à Thèbes, dans le sanctuaire d’Apollon isménien, sur les trépieds qui y étaient dressés ; l’inscription y avait été apposée comme charte de fondation, comme l’attestation de la propriété divine. Les prêtres transcrivaient dans leur forme solennelle les prières, surtout les imprécations et les excommunications pour prévenir les crimes par cette publicité même : enfin ils employaient l’écriture comme un dessin (γράφειν n’a pas à l’origine d’autre signification), pour orner l’édifice de sentences morales, remarquables par leur extrême concision[1]. » Elle servit ensuite à dresser des listes de prêtres et de prêtresses, à noter en regard les grands événements contemporains, par exemple la fondation des colonies, à constituer la série des magistrats de chaque cité, à conserver les noms des vainqueurs aux jeux nationaux, en sorte que son emploi est lié aux principales fonctions du culte public. Si elle a renoncé à la direction propre aux écritures orientales, c’est, on l’a supposé avec vraisemblance, parce que la droite était le côté favorable, adopté selon des prescriptions religieuses pour tous les gestes et les démarches de la vie publique et privée. Nous verrons comment, à partir du moment où le papyrus se répand, où l’écriture se vulgarise, devient laïque, une ère d’analyse et de liberté relative commence : le système pratique fondé sur l’obéissance aveugle aux traditions consacrées est définitivement compromis.

  1. Curtius, t. II, p. 60.