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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale

les instincts féroces cachés sous le vernis de la politesse civilisée. Mais même chez des hommes habitués de longue date à se maîtriser, il est bien rare qu’il n’y ait pas un point, sinon irréductible, du moins non réduit encore, qui, s’il est touché, ne vous montre l’homme ancien dans sa nudité. C’est un spectacle triste de voir ainsi sur un mot, sur une allusion, sur une sensation, se ruiner tout un édifice de vertu. Celui qui connaîtrait bien les hommes pourrait, à peu de frais, s’il avait le cœur de le vouloir, se donner cette émotion. À combien plus forte raison est-il facile au psychologue de faire se démentir les personnages verbaux ! C’est là un plaisir qu’il serait pénible de se refuser et qu’on n’est nullement blâmable de se procurer. On peut, au contraire, éveiller leur pudeur, les ramener à la modestie, au sentiment de tristesse confuse qui résulte de leurs contradictions et ainsi les mettre sur le chemin dô la véritable sagesse. Cette fragilité de l’édifice moral ne prouve point qu’on doive s’abattre et ne plus y travailler, elle prouve simplement qu’il faut veiller sur lui et ne se point endormir au son flatteur des éloges et des complaisances intérieures. Il faut aussi se connaître, savoir les points faibles et s’arranger de façon à ce qu’ils n’aient point l’occasion de se trouver exposés. En morale, il n’y a d’invulnérables que ceux qui savent bien qu’ils ne le sont pas. Et s’il finissent par traverser la vie sans souillure, c’est qu’ils ont bien soin de se répéter chaque jour à eux-mêmes ou à un Autre plus grand qu’eux : Et ne nos indicas in tentationem.

G. Fonsegrive.