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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

ficielle des esprits, d’après les données de la physiologie et de la médecine, marque le début et la fin de ses recherches, le point de départ et le terme de son excursion scientifique. Bien que son ouvrage soit âgé de trois siècles et plus, le principe et la méthode portent l’empreinte d’un esprit qui, dans la recherche de la vérité, s’inspirait surtout de la réalité. Comme médecin, comme philosophe, comme réformateur, il a fait preuve d’un sens droit, d’une sagacité discrète, d’un respect éclairé de la tradition qui tempérait le plus vif amour du progrès. À ces qualités fondamentales, il joignait ce tempérament de l’écrivain qui invente sans effort apparent, qui expose ses idées avec ordre et clarté, en leur imprimant le mouvement et la couleur, d’où naît le style. Ce médecin philosophe, ce hardi réformateur est aussi un grand maître en l’art d’écrire : il se meut à l’aise dans les questions les plus ardues, et revêt sa pensée d’une forme transparente et vive, qui se déroule comme une plaine fertile marquée de points lumineux. L’ouvrage est fortement conçu et fait de main d’ouvrier. L’unité se manifeste par l’absence de confusion et de contradiction, bien que la trame ait beaucoup souffert des atteintes de la censure inquisitoriale. Le sujet, neuf et fécond, a suffi à l’auteur pour philosopher sa vie durant, et il en a fait sa province. C’est à ce point de vue surtout que l’histoire de l’Examen serait intéressante. Elle se recommande à la curiosité patiente des bibliographes qui ne s’interdisent pas de penser : on regrette de ne pas en trouver du moins les matériaux épars dans cette bibliothèque des livres rares et curieux, qui est une des plus méritantes productions de la bibliographie espagnole contemporaine.

Quelques mots encore pour terminer cette étude. On s’y est proposé seulement de faire connaître l’esprit de l’Examen, les intentions de l’auteur et le champ d’expérience où il lui fut donné de recueillir ses observations, en faisant revivre son milieu. Le travail d’analyse ^t d’appréciation, qu’on ne pouvait recommencer ici, a été fait méthodiquement et consciencieusement dans une thèse soutenue en Sorbonne, il y a trente-cinq ans, et qui fut reçue avec indulgence, sinon avec empressement, parce que les juges reconnurent un effort sincère pour renouveler l’antique alliance de la médecine, de la philosophie et des lettres[1]. Souhaitons le retour définitif de cette

  1. Essai sur l’ouvrage de J. Huarte : Examen des aptitudes diverses pour les sciences, par J.-M. G., Paris. Auguste Durand, 1835, in-8o, 328 pages. Le futur éditeur du livre de l'Examen pourrait s’inspirer de ce jugement de Bordeu : « L’ouvrage de Huarte est plein de réflexions singulières, de vues très fines ; on le lit, ce me semble, trop peu ; il mériterait un très ample commentaire. » (Rech. sur l’hist. de la méd., chap.  vii, §  5.)