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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

parfait des facultés ? Mais ces natures exceptionnelles sont particulièrement rares en Espagne, où les hommes complets, de l’aveu de Huarte, peuvent passer pour des merveilles. En supposant qu’ils soient en nombre pour former ce corps d’élite des inspecteurs généraux des écoles, qui donc les désignera ? Sera-ce le roi ? Évidemment le choix d’un conseil d’État pour l’instruction publique serait le plus beau privilège de la royauté, si la tête des rois était toujours digne de ceindre la couronne. Malheureusement les têtes couronnées sont rarement des têtes bien faites, telles que les voulait Huarte, en parfait équilibre et meublées de toutes les connaissances de son encyclopédie. Que ferais roi, s’il n’a pas reçu en naissant l’influence céleste, s’il n’a pas sur toutes choses des clartés qui puissent devenir des lumières ? Si Philippe II a lu le portrait de ce monarque idéal que l’auteur lui propose pour modèle, il a dû faire d’amères réflexions, malgré son orgueil formidable et sa croyance au droit divin.

Mais l’État n’est pas tout, lors même qu’il se personnifie dans le roi. À côté, sinon au-dessus, est la société, laquelle a aussi des droits et des devoirs. La famille en est l’élément essentiel ; et la responsabilité du père de famille, qui est de droit naturel, doit être pour la société la principale garantie de sa prospérité. Huarte a parfaitement établi les devoirs et les droits de cet agent responsable, dont il fait le premier éducateur de l’enfance, et qu’il prépose à cette première sélection, qui doit précéder et faciliter celle de l’État. En effet le père de famille exerce son action sur des enfants et des adolescents, sur des mineurs ; tandis que l’État opère sur des adultes devenus responsables. Loin d’adopter les idées de Platon, qu’il tient pour un utopiste, il veut le respect absolu de l’individu, de la personnalité de chacun, soit de sa nature et de son tempérament.

C’est en cela que consiste la portée sociale de son livre, de ce traité de physiologie comparée de l’homme considéré dans sa nature, dans sa destinée, comme un organisme vivant qui se développe dans des conditions de vitalité dont les unes sont fatales et les autres plus ou moins modifiables, les unes étant naturelles et les autres artificielles.

L’art peut beaucoup sans doute, pourvu que la nature le seconde, ou mieux, pourvu qu’il se conforme à la nature, ce qui a lieu toutes les fois que l’institution de Thomme est en rapport avec son tempérament. Prétendre lutter contre la fatalité organique, c’est renouveler le combat des mortels contre les dieux. Céder à la nature, la suivre, la comprendre, lui donner satisfaction, c’est se conformer au principe de la loi naturelle dans l’éducation de l’homme. Sans croire à la prétendue puissance de la liberté et de la volonté, Huarte ne nie