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sable part de ceux qui s’y précipitent inconsidérément et s’y heurtent rudement prenaient le bon sentier. Les curieux investigateurs de la nature, par exemple, ont un autre tempérament que les praticiens. Un savant de laboratoire qui immole des hécatombes à la méthode expérimentale, n’entendra rien à la médecine clinique ; et le médecin chnique, le clinicien comme on dit aujourd’hui, avec une pointe d’ironie, qui observe sans expérimenter, se moquera de l’expérimentateur et de ses vivisections.

Ces rivalités ridicules ont d’autres causes que l’amour-propre, la jalousie et l’envie des artisans vulgaires. Le monde, à tous les étages, offre ce spectacle de la discorde des opinions, née le plus souvent d’un malentendu ou d’informations insuffisantes. Autant de têtes, autant d’avis, et chacun croit avoir raison.

Il suffirait de cet examen de conscience pour rendre possible et même facile la sélection des esprits, pourvu que cet examen fût rigoureux et sincère ; mais ni la sincérité ni la rigueur ne sont habituelles dans cette espèce d’exercice assez rare ; et quiconque a le courage de se confesser soi-même sur sa propre valeur, aboutit à l’absolution par les circonstances atténuantes.

Tous les orateurs politiques ne font pas comme Démosthène, qui ne consentit jamais à parler en public sans préparation suffisante ; et tous les maîtres de philosophie n’ont pas les scrupules du sage Sanz del Rio qui, avant de prendre possession de sa chaire dans l’université de Madrid, demanda un sursis de deux ou trois ans, ne se trouvant pas absolument prêt à enseigner ce qu’il avait laborieusement appris en Allemagne.

Voilà des consciences vraiment rares, et qu’on proposerait à l’imitation, si les hommes en général étaient bons juges dans leur propre cause. Mais comme cette vertu est de celles qui florissaient dans l’âge d’or, qui donc jugera des capacités ? qui donc procédera à cet examen des esprits ? L’État peut évidemment prendre l’initiative de cette sélection déhcate : son droit est incontestable, lorsqu’il s’agit d’ouvrir ou de fermer les portes dont il tient la clef. Iluarte demande en conséquence au roi d’Espagne l’institution de ces examinateurs d’entrée dans la carrière des honneurs et des emplois publics, et Pedro Simon Abril reproche aux inspecteurs des écoles de l’État d’avoir échoué dans leur mission de réformateurs, par ignorance des saines méthodes.

Voilà donc la réforme des études compromise par l’insuffisance de ces missi dominici de l’instruction publique. Quel savoir ne faudrait-il pas exiger des délégués à la sélection des esprits ? Ne faudrait-il pas les choisir parmi ces têtes bien faites qui représentent l’équilibre