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sable suite de Don Quichotte, attribuée à un moine dominicain.

Quévédo gâta son merveilleux génie par le goût le plus dépravé et l’obscénité la plus révoltante : les sales équivoques surabondent dans les œuvres en vers et en prose de cet auteur corrompu et dévot, qui se donnait pour un moraliste, traduisait Phocylide et Epictète, et se faisait le biographe de Sénèque et de saint Paul. Piron n’est qu’un novice auprès de lui. Ce qui distingue particulièrement cette littérature de carnaval, ce qui la caractérise bien, c’est la fausse dévotion qui sert de passeport aux immondices.

Huarte jugeait-il le mal comme incurable ? Peut-être bien. Un fait certain, c’est que Cervantes, son contemporain, fut impuissant contre le fléau, malgré la forte critique qui circule dans cette incomparable poème en prose que quelqu’un a appelé l’histoire de la folie et le livre de la sagesse. Chassé des romans de chevalerie, ce virus délétère s inflltra partout, et les ouvrages d’imagination en furent infectés. Ni les mystiques, ni les casuistes ne se privèrent de ce condiment obligé ; sous prétexte de guérir la plaie rongeante, ils l’étalèrent dévotement. La paillardise et la piété marchèrent la main dans la main.

Huarte ne pouvait songer qu’aux malfaiteurs officiels, patentés, estampillés par l’État, et le plus souvent inconscients. Il faut peser sur ce mot, car l’inconscience était leur excuse, et atténuait leur responsabilité. Ne se connaissant pas, ils prenaient le mauvais chemin, et tout le monde soufl’rait de leur erreur, que consacrait l’autorité souveraine. L’ignorance de soi-même étant la pire de toutes, cette inconscience générale des classes dirigeantes rendait la malfaisance plausible, du moment qu’elle s’exerçait à l’aise, à l’abri des titres et de l’imposition des mains.

A y regarder de près, le réformateur s’attaquait à une oligarchie, à une aristocratie usurpatrice ; et la sélection, telle qu’il la voulait, ne pouvait se faire que par un nouveau recrutement de l’élite, par un appel à toutes les capacités, de manière à faciliter le choix des plus dignes. Voilà un mode de concours qui, n’excluant personne, ne saurait plaire aux corporations fermées. Le projet est un peu bien démocratique pour l’époque et le pays ; mais l’auteur songeait à l’avenir, et d’ailleurs on ne surprend jamais chez lui de ces préjugés étroits qui sont familiers aux hommes de coterie. Un docteur, entiché de ses parchemins, se croit volontiers apte à tout, même quand il n’est bon à rien.

Huarte connaissait à fond ces incapables brevetés et diplômés ; et c’est justement pour en réduire le nombre toujours croissant, qu’il demande une réforme urgente. Au lieu d’épuiser ingénieusement les